dents claquaient de misère, dont le maigre corps grelottait sous la pluie, Cogolin eut un geste sublime. Il prit la bourse, et la laissa retomber sur les coussins de la voiture :
"Il ne sera pas dit, madame, que j’aurai exploité ma douleur et la vôtre, et que j’aurai fait argent du malheur survenu à mon maître M. Trémazenc de Capestang.
— Ah ! murmura Marion saisie, on voit bien de qui vous avez reçu les leçons, mais parlez, je vous en supplie, et n’omettez aucun détail, il faut que je sache tout."
Cogolin fit un récit rapide, mais fidèle, de tout ce qu’il avait vu l’auberge cernée par les gens de Concini, l’incendie allumé par Laffemas, la lutte suprême, le corps tout meurtri du malheureux jeune homme jeté travers d’un cheval et porté à l’hôtel Concini. Marion Delorme avait écouté avec une attention passionnée, les yeux agrandis par l’épouvante. À peine Cogolin eut-il terminé qu’elle se pencha et cria au cocher :
"Vite ! Touche à l’hôtel !"
Le carrosse fit demi-tour, s’élança et s’arrêta devant l’hôtel du marquis de Cinq-Mars. Marion Delorme courut à sa chambre. Ce qu’elle ferait, ce qu’elle voulait, elle ne le savait pas. Ce qu’elle faisait en ce moment, elle le savait à peine. Elle vivait une de ces minutes terribles qui laissent leur empreinte sur toute une existence. Elle pleurait à grosses larmes, sans se soucier de les essuyer ou de les cacher à la soubrette qui tournait autour d’elle. Elle s’assit, et, fiévreusement traça ces quelques mots :
« Je vous ai loyalement prévenu que peut-être, parfois, mon caprice m’entraînerait à prendre quelques heures de liberté. Je vous quitte, cher ami, pour un jour, peut-être, ou peut-être pour bien longtemps. Quoi qu’il arrive, soyez en repos ; je vous jure que, quant à la fidélité, vous n’aurez aucun reproche à me faire. Ne cherchez pas à savoir où je suis ni ce que j’entreprends, et tenez seulement pour assuré que, près ou loin de vous, Marion est assez fière pour respecter ses engagements. Adieu, mon très cher, à bientôt sans doute, ou peut-être à jamais. »
Elle cacheta, appela Lanterne, et lui tendit la lettre :
"Pour M. de Cinq-Mars quand il rentrera. Maintenant, souviens-toi bien de ceci, maître Lanterne : si tu touches un mot de la rencontre que nous avons faite rue Saint-Martin, je te fais chasser. Si tu dis que tu m’as vue pleurer, je te fais bâtonner. Si tu essaies de me suivre, de m’espionner, je te fais poignarder. Va, maintenant !"
Lanterne, la face décomposée par la terreur, saisit la lettre en allongeant le bras, de loin, et, malgré son ventre, disparut avec la rapidité d’un daim poursuivi. Pendant ce temps, Marion entassait de l’or et des bijoux dans une sacoche qu’elle remit à sa femme de chambre :