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Cogolin était affamé. Cogolin était assoiffé. Mais Cogolin était chaste... et même pudibond à ses heures. Il s’assit donc à une table où il se fit servir deux bouteilles de vin d’Anjou, du lard grillé, du jambon avec des œufs et autres choses épicées, mais il repoussa modestement la ribaude fanée, dépoitraillée, échevelée, qui émit la prétention de s’asseoir sur ses genoux.

Cogolin se mit donc à manger et à vider force gobelets en l’honneur de la victoire et de la fortune de Capestang ; tant et si bien qu’à la troisième bouteille il ne fut nullement surpris de voir installée sur ses genoux la ribaude tenace qu’il avait écartée d’un geste plein de dignité. Bref, Cogolin se vautra dans l’orgie ; il roula dans l’ivresse et l’abjection ; il fut un ivrogne fieffé ; il fut un paillard sans retenue. Cette débauche qui avait pour but de célébrer la gloire du chevalier son maître, dura une partie de la nuit.

Cogolin se vautra donc dans sa turpitude jusqu’au moment où il s’aperçut que la ribaude venait de s’éclipser tout à la douce et sans prendre congé de lui ; en même temps l’hôtesse appuyait ses deux poings sur la table et le regardait fixement du haut en bas.

"À boire ! dit Cogolin.

— Payez d’abord ce que vous avez bu et mangé jusqu’ici, car, Dieu merci ! vous ne vous privez de rien. Cela fait cinq écus tout juste."

Cogolin sourit. Il se rappelait parfaitement qu’il avait six écus. Il lui restait donc un écu à transformer en victuailles et en boissons.

"À boire ! répéta-t-il d’un ton suffisant. On a de quoi, je pense ! Avec six écus, on peut en payer cinq, j’espère ! Du vin, et du chenu, un peu !

— Payez d’abord", dit l’hôtesse.

L’hôtesse était parfaitement payée. En effet, Cogolin avait mangé et bu pour trois écus environ. Et elle venait d’en recevoir quatre de la ribaude qui, ayant subtilisé ses six écus à l’infortuné Cogolin, se contentait de deux pour sa part. Cette coquine donc n’avait eu d’autre but que de s’assurer si son client n’avait pas quelque autre magot. Mais Cogolin eut beau se fouiller, il ne trouva ni nouveau magot, ni les six écus. Il demeura atterré et leva vers la matrone, qui déjà posait ses deux poings sur ses hanches, geste préliminaire d’une bordée d’invectives, un visage navré, un regard voilé par les larmes du désespoir et du vin.

"Je n’ai plus rien, bégaya-t-il ; je ne sais comment la chose se fit, mais..."

Cogolin n’eut pas le temps d’achever…

"Fripon ! Bélître ! rugit l’hôtesse. Tireur de laine ! Pendard ! Ah ! tu bois et tu ne payes pas ! Ah ! peste qui t’étouffe ! Fièvre qui