Cogolin avait détalé comme les autres. Lorsqu’il s’arrêta tout essoufflé, il se campa comme il avait vu faire son maître, et dit :
"Corbacque, nous avons remporté la victoire !"
S’étant essuyé le front, il réfléchit que sans aucun doute le chevalier passerait la nuit au Louvre. Un instant, il songea à aller se présenter au guichet de la grande porte. Il dirait simplement :
"C’est moi, Cogolin, l’écuyer du chevalier de Capestang."
Mais au bout de quelques pas qu’il avait commencés dans la direction du Louvre, un doute lui vint sur l’accueil qui lui serait fait et la célébrité de son nom. Alors il résolut de glorifier à lui tout seul la grande victoire. S’étant fouillé, il se rappela que, pour le moment, le chevalier était détenteur de la bourse, mais il vit qu’il se trouvait tout de même en possession de six écus. Cogolin résolut de manger et de boire les six écus jusqu’au dernier, persuadé que le lendemain matin il nagerait dans l’opulence, le roi ne pouvant manquer de couvrir d’or celui qui venait de le sauver.
Il jeta un coup d’œil autour de lui, et s’aperçut que sa fuite précipitée l’avait conduit jusqu’aux abords du Temple, dont la tour silencieuse dressait sa sombre masse dans le ciel noir, alors il se dirigea vers le centre de Paris.
En arrivant à l’angle de la rue du Chaume et de la rue des Quatre-Fils, il s’arrêta étonné du spectacle qui le frappait : des gens arrivaient du fond de Paris, par groupes de trois ou quatre, les uns à cheval, les autres à pied balançant d’une main la petite lanterne en papier qui éclairait leur route. Tous ces nocturnes promeneurs s’engouffraient sous la grande porte d’un vaste hôtel que Cogolin, en homme qui connaissait à fond son Paris, nomma sur-le-champ :
"L’hôtel de Guise ! fit-il entre ses dents. Or çà, est-ce qu’il y a ballet chez M. le duc, et tous ces gens viennent-ils donc y danser en l’honneur du triomphe de Sa Majesté ? Hum ! Voici des danseurs bien étranges, avec leurs mines mystérieuses, et ces crosses de pistolets que j’ai entrevues. Que diable se passe-t-il ce soir dans l’hôtel de Guise ?
— Au large !" gronda près de lui une voix.
Cogolin vit s’agiter une ombre, entendit le cliquetis d’une arme et, recourant une fois de plus à ses longues jambes, s’empressa de mettre une respectable distance entre lui et ceux qui faisaient si bonne garde autour de l’hôtel. Il parvint ainsi jusqu’à une certaine ruelle mal famée, appelée rue des Singes, nous ignorons pourquoi. Cette rue des Singes était un vrai cloaque, tant au moral qu’au physique. A droite et à gauche, une douzaine de maisons, de masures. Chaque rez-de-chaussée était un cabaret, chaque cabaret portait son enseigne, et toutes les enseignes s’enchevêtraient, se heurtaient et grinçaient au moindre souffle de vent.