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années devait demeurer étonné de cette aventure, de cette royale aumône dont cet inconnu l’avait assommé – moralement et physiquement.

Un peu soulagé d’esprit et tout à fait soulagé d’argent, le chevalier reprit son chemin en grondant :

"Qu’ai-je à faire de pistoles, maintenant ? Ah ! triple brute ! Ah ! faquin ! Ah ! bélître !"

C’est à lui-même qu’il adressait ses épithètes, et non au roi ni au truand comme on pourrait le supposer. Il était furieux, exaspéré, mais contre sa propre attitude.

"Je n’avais qu’à me laisser faire ! continua-t-il. Je tenais la fortune. Comment ! J’ai la chance inouïe d’amener au Louvre le prétendant que tout Paris acclamait ! Le hasard fait de moi le sauveur d’une monarchie ! Je n’avais qu’à me taire ! Et demain, tu étais le premier du royaume ! Demain tu pouvais te présenter devant le père de Giselle et lui dire en toute assurance : « Votre fille m’aime, et je l’aime. Maintenant que je suis quelqu’un, arrachez-la à Cinq-Mars, qui n’est qu’un pauvre petit marquis de rien et donnez-la-moi ! »"

Comme il disait ces mots, il s’arrêta en frissonnant : il venait de s’apercevoir qu’il était rue des Barrés ! devant la maison de Marie Touchet ! devant la maison de Giselle ! Il était venu là, d’instinct, sans s’apercevoir qu’il y venait.

"Que suis-je venu faire ici ? songea-t-il. N’est-elle pas l’épouse de Cinq-Mars ? Ce mariage n’a-t-il pas dû s’accomplir, à minuit ? Il est vrai qu’elle m’a dit qu’elle m’aime. Il est vrai qu’elle ne donnera à Cinq-Mars que son nom ! Et sans doute, elle attend que j’accomplisse ma promesse de la conquérir de haute lutte ! Mais où en suis-je ? Que puis-je espérer, puisque je ne sais pas profiter des chances que m’offre la fortune !"

Non, il n’avait plus rien à espérer. Le roi lui-même était maintenant son ennemi !

Il se leva, se recula et, avec un inexprimable découragement, considéra la maison. Elle était à peine visible dans les ténèbres. Elle était silencieuse, avec une face obscure. Puis il se remit en route. Il erra ainsi de longues heures, tournant à droite ou à gauche, virant, revenant sur ses pas, au hasard, véritable épave ballottée – très malheureux. Si malheureux que la pensée lui vint, ou plutôt se précisa en lui, de se tuer.

"Aussi bien, réfléchit-il, je ne ferai que devancer de quelques jours le moment d’aller voir ce qui se passe ad patres."

Il ne croyait pas si bien dire. Car Montreval et Louvignac l’avaient suivi dans toutes ses évolutions et étaient décidés à le suivre jusqu’à ce qu’il s’arrêtât quelque part : moment auquel Montreval monterait la faction devant son logis quel qu’il fût, tandis que Louvignac irait prévenir les forces concentrées à l’hôtel d’Ancre.