eût marché à l’échafaud, Capestang se ruait comme en un rêve étrange où il n’était plus lui, où il ne se conduisait plus, où il était mené par la Fatalité.
"Apprêtez les arquebuses !" tonna soudain une voix formidable.
La foule s’arrêta, reflua, recula : elle se trouvait devant la grande porte du Louvre ! Et, en avant de cette porte, dont le pont-levis était baissé, en avant du fossé, deux compagnies de gardes étaient rangées, prêtes à tirer. Le vieux maréchal d’Ornano était là, l’épée à la main, prêt à mourir.
"Vive Condé !" vociféra la foule, qui reculait en grondant comme peut reculer une meute de dogues.
Et déjà le mot de trahison courait parmi les bourgeois. Ils s’étonnaient de voir le Louvre si bien défendu, ils s’étonnaient que Condé fût là tout seul, alors qu’il devait venir à la tête d’une compagnie. Où était cette compagnie promise, attendue, qui devait forcer la porte du Louvre ?
"Monseigneur, criez à ces gens que vous allez parler au roi. Criez-le ou, par le Dieu vivant, vous êtes mort !"
Condé se retourna vers la foule. Il était blême. Aux dernières lueurs du jour, le peuple de Paris vit le chef suprême de l’émeute faire un geste désespéré ; et puis on l’entendit balbutier quelques mots dont personne ne saisit le sens. Mais on vit le prince se diriger vers Ornano ! Et avec son instinct des situations dramatiques, le peuple comprit que Condé voulu une dernière fois parlementer avec le roi ! Il y eut une frénétique acclamation de : « Vive Condé ! »
"Ch’ellu crebbi comm’una castagna ![1]" gronda le vieux Corse.
Et Ornano levant l’épée, allait ordonner le feu, lorsqu’il vit ces deux gentilshommes qui s’avançaient l’un tenant l’autre par le bras, comme deux amis, comme Castor et Pollux allant au combat.
"Au large, vous deux !" vociféra le maréchal.
Le chevalier fit rapidement trois pas, et, d’une voix éclatante, envoya son nom :
"Capestang !...
— Le mot d’ordre ! murmura le maréchal Ornano. Laissez passer !"
Celui que Capestang appelait « le petit Louis treizième » attendait, debout, frémissant, l’oreille aux aguets, tâchant de recueillir ces grondements lointains qui palpitaient dans Paris, et se demandant si chaque seconde qui venait n’était pas celle où la foudre devait tomber sur le Louvre.
Il était seul, avec son médecin, Hérouard, qui parlait pour cacher son trouble, ou peut-être parce que le besoin de pérorer et de dogmatiser l’emportait encore en lui sur la terreur.
- ↑ Qu'il crève comme une châtaigne! (Note de l'auteur)