— Aux alentours ?
— Personne !
— Bon ! reprit le gentilhomme après ce rapide rapport. Allumez les flambeaux dans la grande salle. Rabattez soigneusement les contrevents de façon qu’on ne voie pas de lumière. Que l’un de vous se place devant la porte et y reste en surveillance. Les trois autres sur la route jusqu’au détour de la rue de Tournon pour montrer le chemin à monseigneur, qui ne saurait tarder."
A ces mots, le gentilhomme regagna la route, sans doute pour se porter lui-même au-devant de celui qu’il attendait. Capestang serra le bras Cogolin comme pour lui donner l’ordre suprême et se laissa glisser le long de l’escalier jusqu’à la galerie du premier étage. Là, il entra dans un couloir et, se retournant, vit Cogolin près de lui. Cela s’était fait en quelques secondes.
"As-tu peur ? demanda Capestang dans un souffle.
— Mettez-moi à l’épreuve ! fit Cogolin.
— Es-tu homme à risquer ta vie ? Je te préviens que nous serons deux contre dix ou vingt, peut-être. Si tu as peur, va-t’en. Je ne veux pas être déshonoré par un valet trembleur. Si tu te sens de force à regarder la mort, suis-moi…
— Je vous suis !" dit Cogolin avec une sublime indifférence.
Sublime, car, dans le fond, il avait peur et donnait à tous les diables le chevalier qui se mêlait là de ce qui ne le regardait pas et parlait de se battre à deux contre vingt.
"Que faudra-t-il faire ? reprit Cogolin.
— Comme moi, répondit Capestang. Si je ne bouge pas, tu ne bouges pas. Si je fonce, tu fonceras. Si je me fais tuer, tu te feras tuer. Viens !
— Peste ! grogna Cogolin en lui-même. La fièvre l’étouffe ! (Mais il suivit Capestang pas à pas.) Ma dernière heure est venue ! Il en parle bien à son aise. Tu te feras tuer !"
Capestang s’était élancé, rapide, léger, silencieux, comme un fauve qui, dans les ténèbres d’une forêt, choisit son affût. Il descendit l’escalier intérieur. Au bas de cet escalier, il s’arrêta. Cogolin vit alors qu’ils se trouvaient dans la cuisine où, si souvent, il avait vu maître Lureau, pourpre du feu de ses fourneaux, commander à ses marmitons la manœuvre des casseroles. La cuisine obscure était séparée par une porte vitrée de la salle vivement éclairée. Huit ou dix gentilshommes étaient assemblés là. Mais de seconde en seconde, il en venait d’autres ; bientôt ils furent trente, bientôt la salle fut bondée. Capestang remarqua à ce moment que l’un des conspirateurs accrochait au mur du fond un cartouche représentant l’écu des princes de Condé Bourbon, avec les fleurs de lis et la barre en travers. Lorsque ce conspirateur se retourna, Capestang vit que c’était le gentilhomme qui, pour six mois, avait loué