une charrette, un véhicule quelconque, venait de s’arrêter devant la porte de l’auberge. Cet incident eut aussi pour effet de mettre immédiatement sur pied Cogolin. Tous deux s’approchèrent de la lucarne, se penchèrent et virent alors à la lueur d’une lanterne que tenait un homme, une lourde charrette couverte d’une bâche que déjà trois ou quatre hommes enlevaient.
"Dépêchons ! ordonna celui qui tenait la lanterne.
— Tiens ! murmura Cogolin, je m’en doutais. C’est le gentilhomme qui a loué l’auberge…
— Quel gentilhomme ?" fit Capestang.
Cogolin, en quelques mots, mit le chevalier au courant de ce qui s’était passé au moment du départ de maître Lureau.
"Je pense, ajouta-t-il, que ce gentilhomme veut faire du Grand-Henri un entrepôt de contrebande. Voyez, ces gens portent toutes sortes de marchandises dans la grande salle."
En effet, les travailleurs nocturnes s’activaient à décharger la charrette, qui était bondée de ce que Cogolin appelait des marchandises. En vingt minutes ce fut fait. La porte de l’auberge fut refermée par le gentilhomme. Alors, la voiture fit demi-tour et s’éloigna avec un bruit de cahots. Capestang remarqua que, pourtant, on avait eu soin d’entourer de paille les roues du lourd véhicule. Quelques instants plus tard, la rue était redevenue déserte et silencieuse.
"Allons voir la contrebande", dit Capestang.
Ils descendirent. A ce moment, le jour commençait à poindre. Mais la salle commune était encore plongée dans l’obscurité. Cogolin alluma une lanterne. Et alors, voici ce que vit Capestang. Rangées contre le mur se dressaient cinquante arquebuses et cinquante piques ; à la hampe de chaque pique était attaché un solide poignard : à la crosse de chaque arquebuse était lié un pistolet de combat.
"Oh ! oh ! fit Capestang. Contrebande de guerre !"
Dans un coin, sur des toiles qu’on avait eu soin d’étendre sur les carreaux, s’entassaient en bon ordre des costumes complets – des costumes de la garde royale ! – Capestang examina le premier des buffles qui lui tomba sous la main – sortes de cuirasses en cuir fauve que l’on revêtait par-dessus le pourpoint en de certaines circonstances où la cuirasse de fer eût été trop lourde ou incommode.
"Guerre de rues !" murmura Capestang qui pâlit.
Sur la poitrine et sur le dos du buffle était brodée un L (Louis) surmontée de la couronne royale et entourée de deux branches de laurier.
"Le chiffre royal ! murmura pour la troisième fois Capestang.
— Diable ! fit Cogolin, est-ce que ce gentilhomme contrebandier serait un agent du roi ? Est-ce que Sa Majesté chercherait à frustrer ses propres revenus ?"