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Capestang demeura comme écrasé. Une sorte de gémissement faible s’échappa de ses lèvres. Il chancelait, ses oreilles bourdonnaient. Ses yeux s’étaient fermés. Une prodigieuse sensation d’orgueil sublime descendit de sa tête à son cœur, tandis qu’un frisson le parcourait tout entier. Il allait tomber à genoux. Sa main, d’un geste vague et timide, allait chercher la main de la jeune fille. Giselle l’arrêta d’un mouvement d’indicible dignité :

"Chevalier, dit-elle, ces paroles que, librement, de toute ma conscience, de toute mon âme, de toute ma fierté, je viens de prononcer, ces paroles, jamais plus je ne les répéterai. Plus jamais, ni vous, ni d’autres, plus jamais nul n’entendra Giselle d’Angoulême parler comme je viens de parler. A un autre, je mentirais. Et à vous, je ne pourrais les répéter sans crime puisque dans quelques heures, je vais m’appeler la marquise de Cinq-Mars."

Pantelant, hors de lui, la pensée exorbitée, Capestang secoua la tête et des paroles frénétiques se pressèrent sur ses lèvres ; mais pour la deuxième fois, Giselle l’arrêta :

"Pas un mot. Si je vous ai fait venir, chevalier, si je vous ai dit tout haut ce que je n’avais encore confié qu’à Dieu dans mes prières, c’est que j’ai cru deviner en vous une âme égale à la mienne ; c’est que je vous ai supposé assez grand pour admettre le sacrifice que j’ai admis, moi ; c’est que je vous ai vu, je vous vois un esprit assez hautain pour dédaigner les plaintes. Je dois épouser M. de Cinq-Mars, ou du moins je dois unir mon nom au sien (Capestang tressaillit, son cœur se dilata.) Mon père, les princes, mille gentilshommes ont engagé leurs têtes dans l’entreprise que vous connaissez. Que je retire ma parole, que je fasse au duc d’Angoulême cet affront de démentir la sienne, je suis peut-être la meurtrière de mon père."

Une rapide émotion altéra sa voix ; un instant cette âme de guerrière faiblit ; quelque chose comme un sanglot fit palpiter son sein sculptural. Capestang la contemplait avec une admiration passionnée.

Ils étaient debout, l’un tout près de l’autre, frémissants, unis par leurs regards enlacés, plus étroitement que par une étreinte d’amour. Leurs mains n’avaient qu’un geste à faire pour s’étreindre, et pourtant, immobiles, tout raidis, comme si chacun d’eux se fût pétrifié, ils étaient séparés par leur volonté mieux que par des distances qu’on ne franchit pas. Très bas, sans la quitter des yeux, il murmura :

"Donnez-moi vos ordres. Vous êtes la Dame de mes pensées et de ma vie. Je suis vôtre. Disposez de moi. Quoi que vous ordonniez, fût-ce de m’en aller mourir loin de vous sans jamais vous revoir, je serai digne de vous.

— Vivez ! répondit-elle faiblement, mais sans qu’une hésitation l’eût arrêtée. Vivez et ne vous éloignez pas de Paris.