Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/213

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Monsieur le maréchal, après avoir arrêté le père, il serait peut-être bon… non pas d’arrêter, mais de faire disparaître la fille… elle est l’âme de la conspiration."

Concini leva la tête vers Richelieu. Il souffrait atrocement. Ce prêtre lui parlait depuis une heure de Giselle comme si elle eût été vivante. Et elle était morte ! Morte assassinée par Marie de Médicis ! Jetée à Seine ! Noyée par les bravi de la reine mère !

"Que dites-vous là, monsieur l’évêque ? fit-il d’une voix morne. Celle dont vous parlez n’est plus.

— Vous vous trompez, maréchal, dit Richelieu, convaincu que Concini tentait une feinte. Celle dont je parle, c’est-à-dire Giselle d’Angoulême, est si bien vivante qu’elle a été vue hier et les jours précédents."

Concini se leva. Il chancelait. Il marcha à l’évêque, saisit ses mains qu’il étreignit convulsivement, et bégaya :

"Répétez ! oh ! Richelieu ! si un cœur d’homme bat sous votre cotte de mailles, répétez, par pitié !

— Je dis, reprit l’évêque étonné cette fois, j’affirme que Giselle d’Angoulême est vivante, que vous la trouverez quand vous voudrez, rue des Barrés, dans la maison de Marie Touchet, et qu’il est nécessaire qu’elle disparaisse. Pas d’arrestation, maréchal, cela ferait du scandale : une simple séquestration secrète... oh ! mais vous vous affaiblissez, je crois ? Maréchal !"

Richelieu chercha des yeux une sonnette, un signal d’appel quelconque : Concini, foudroyé, venait de tomber à la renverse dans son fauteuil, en jetant un cri qui ressemblait à un gémissement lugubre et qui était la clameur d’une joie surhumaine. A ce moment, une tenture se souleva. Léonora Galigaï entra. Sans dire un mot, elle fit respirer à son mari un flacon qui contenait un puissant révulsif. Concini ouvrit les yeux et vit Léonora. Du premier coup d’œil, il comprit qu’elle avait tout entendu !

"Tu étais là ? fit-il dans un souffle d’épouvante.

— Oui", répondit-elle avec un accent glacial, mortel, formidable.

Il n’y avait de vivant dans son visage de cire que ses magnifiques yeux noirs, où Concini, comme à livre ouvert, lisait la condamnation de Giselle. Elle jeta sur Concini un regard où rayonnait son amour, où flamboyait sa volonté sauvage.

"Laisse-moi faire, murmura-t-elle. Ne t’inquiète de rien. Aie confiance en Léonora. Tu sais de quels sacrifices son amour est capable ! Occupe-toi du père, pour ce soir. Moi, je m’occupe de la fille. Sur Dieu, sur ce cœur qui brûle pour toi, Concino, je jure de respecter la vie de cette fille. Quand je l’aurai amenée ici, dans cet hôtel, nous discuterons ensemble sur son sort. Va, mon Concino. Va reposer ta pauvre tête brûlante. Tu as failli mourir de joie et moi de douleur."