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"J’écoute !" dit Richelieu.

À voix basse, Laffemas commença son rapport, que l’évêque écouta sans qu’un pli de son visage indiquât qu’il s’intéressait à ce qu’on lui racontait. Seul, le regard parfois jetait une flamme brûlante qui, tout aussitôt, s’éteignait.

Disons seulement que, dans ce rapport, il était question de quatre points stratégiques : la maison du coin de la rue Dauphine, l’hôtel d’Angoulême, la maison de la rue des Barrés, le tripot de la rue des Ursins, et de quatre personnages : le duc d’Angoulême, Giselle, le chevalier de Capestang, Marion Delorme.

Lorsque Laffemas eut fini de parler, l’évêque demeura silencieux, immobile, l’œil ardent, le sourcil froncé. Dans son costume grenat à bouffettes cramoisies, en cette attitude de rêverie perverse, avec des pointes de moustache retroussées et sa royale noire, dans la pénombre de cette chambre, il était tel que Méphisto dut apparaître à Faust.

"Je me résume, monseigneur. Primo, affaires d’État ! il y aura réunion à l’hôtel d’Angoulême. Dans un dîner où se sont réunis les amis de M. le prince de Condé, on a crié : « Barre à bas[1] ! » Ce qui prouve que M. le prince, tout en poussant Angoulême, travaille pour lui-même. Dans le même ordre d’idées : Mme la maréchale d’Ancre a paru se rallier secrètement aux prétentions de M. d’Angoulême. Le maréchal d’Ancre est épris de la fille du duc et la fait chercher. Secundo, affaires personnelles : j’ai suivi Mlle Delorme. Elle a des rendez-vous avec le chevalier de Capestang dans un tripot de la rue des Ursins. En ce qui concerne Capestang, il faut rapprocher de la passion qu’éprouve Concini pour Giselle la conversation que j’ai surprise à l’hôtel d’Angoulême entre le duc et sa fille, conversation qui prouve que cette noble demoiselle éprouve pour le sire de Capestang des sentiments que condamne son père. Quant au jeune Cinq-Mars, il paraît avoir renoncé à tout espoir sur Mlle Delorme. Enfin, la fille de M. d’Angoulême habite rue des Barrés. C’est tout."

Alors Richelieu tressaillit. Il se rapprocha de l’espion, lui mit sa main sur l’épaule, et le récompensa :

"C’est bien, mon cher monsieur de Laffemas. Vous ferez un prévôt de police génial."

Laffemas se redressa sur ses ergots, et chercha à grandir sa petite taille comme pour se mettre à hauteur du terrible poste qu’on lui promettait. Sa figure s’enfiella d’orgueil.

"C’est bien, reprit l’évêque. Vous viendrez au rapport demain matin. Vous trouverez sur la cheminée de mon cabinet du

  1. Le prince de Condé étant Bourbon, son écusson ne se distinguait de l'écu royal que par une barre placée obliquement entre les trois fleurs de lis. Il n'y avait donc qu'à enlever la barre pour que l'écusson de Condé devînt écu royal. Pour mettre « barre à bas », il fallait donc que Condé fût roi de France. (Note de l'auteur)