avec une froideur terrible – excepté dans certaine salle de l’hôtel Concini où l’on se met à huit pour assassiner..."
Un murmure d’épouvante parcourut les rangs des joueurs. Mais à ce moment, la tenancière, peut-être pour faire diversion, annonça d’une voix stridente qu’elle allait lancer la boule. Et les joueurs coururent au billard. Louvignac avait eu un sourire sinistre.
"Monsieur, dit-il, je vous attends au Pont-au-Change. Là, je serai tout porté pour jeter votre carcasse aux poissons quand je vous aurai embroché.
— Au Pont-au-Change. Soit. J’y serai dans une demi-heure. Là, je serai tout porté pour vous lessiver dans la Seine, car vous avez encore de mon sang à la face."
Malgré lui, Louvignac porta la main à son front. Capestang éclata de rire. Le spadassin se dirigea vers la porte. À ce moment, la tenancière criait :
"Messieurs, vous pouvez voir que le numéro trois a gagné !
— C’est monsieur qui gagne pour la troisième fois !"
Il y eut un déchaînement d’applaudissements, de félicitations et de grincements de rage autour de Capestang.
Le chevalier empocha : cela lui faisait cent quatre-vingts pistoles gagnées avec la dernière des pièces que le reconnaissant Lureau avait glissées à Cogolin !
"Ah çà ! murmura-t-il, que me chantait donc Cogolin, que la rue de Ursins touche à la Seine ? Il a voulu dire le Pactole !"
Alors il se tourna vers Marion qui, toute tremblante, avait assisté à cette scène.
"Vous n’irez pas, dites ? supplia-t-elle.
— Où cela ? Au Pont-au-Change ? J’irai d’autant mieux, madame, que, si je trouve une boutique de changeur encore ouverte, je serai enchanté de changer toute cette pistolade pour des doublons. Corbacque ! je n’ai jamais vu dans mes poches un pareil flot d’or !
— Oh ! vous allez vous faire tuer ! tuer pour moi !
— Et quand cela serait ? dit Capestang avec cette suprême galanterie qui fait frissonner le cœur des femmes. Il me semble bien, madame, que vous méritez qu’on meure un peu pour vous. Mais ne craignez rien. Je ne serai pas tué.
— Mais vous ne savez donc pas que cet homme c’est Louvignac ? Mais malheureux chevalier, vous ne savez donc pas que tout à l’heure, ici même, Louvignac parlait de vous avec M. de Bazorges ?
— Bon ! Qu’est-ce que Bazorges ?
— Un des ordinaires du maréchal d’Ancre. Je les ai entendus. Ils se donnaient rendez-vous au Pont-au-Change. C’est un guet-apens, chevalier !
— S’ils ne sont que deux, ma chère, tout ira bien ; je mettrai les bouchées