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et aveugles de logis impassibles. Capestang s’en retourna comme il était venu.

"Au surplus, se dit-il, quand même ce serait Giselle que ce carrosse aurait amenée, quand même je saurais où la trouver, quand même je serais devant elle, que pourrais-je lui dire ? Allons, allons, ajouta-t-il en riant, je deviens fou. N’en parlons plus. N’y songeons plus. Mais que va dire maître Cogolin quand il saura que je rentre sans argent ? Or çà, est-ce que réellement, je vais me laisser mourir de faim ? Car j’ai faim, corbacque ! J’enrage de faim et de soif."

Réellement, le pauvre chevalier était affamé. Il éprouvait de furieux tiraillements d’estomac, il sentait le vertige s’emparer de sa tête vide. Il arriva à l’auberge du Grand Henri en se disant :

"Tant pis ! Je vais commander un dîner de prince. Et si maître Lureau refuse, je mets le feu à l’auberge, j’embroche l’hôte et le fais rôtir à la flamme de sa bicoque !"

Il dit, et ouvrit la porte de sa chambre. Et il demeura cloué sur place, muet de stupeur, les yeux arrondis, la bouche béante. En effet, dans cette chambre où il s’attendait à trouver l’infortuné Cogolin à demi mort de faim, c’était un spectacle joyeux, fantasque et même imposant qui s’offrait à lui.

Dans l’embrasure de la fenêtre, une grande cage à claire-voie contenait une quinzaine de jeunes poulets. Au-dessus de la commode, attachés par des ficelles aux solives du plafond, se balançaient majestueusement deux jambons flanqués chacun de deux saucissons. Sur le marbre de ladite commode, trois pâtés superposés l’un sur l’autre, le plus gros servant de cariatide aux deux autres, formaient une tour dorée, croustillante. Cette fortification gastronomique était protégée par deux compagnies de bouteilles poussiéreuses, l’une à droite, l’une à gauche, et chaque compagnie se composait d’une vingtaine de soldats alignés en parade. Enfin, au milieu de la chambre, la table toute dressée était couverte de victuailles de formes et d’apparences diverses. Et Cogolin, à l’apparition de Capestang, prononçait gravement :

"Monsieur le chevalier est servi !

— Ah ! mon brave Laguigne ! s’écria Capestang en se précipitant à table.

— Pardon, monsieur : Lachance !" dit Cogolin.

Notes :