livide. Un instant, sa main tremblante descendit jusqu’à la garde de son épée. Mais, secouant la tête, il se contenta de répéter :
"C’est l’ordre.
— Et qui a donné l’ordre ? gronda Concini.
— Moi !" répondit une voix rude.
Une tenture s’écarta. La haute taille du maréchal Ornano s’encadra dans le velours. Concini jeta autour de lui un regard sanglant et vit ses gentilshommes prêts à dégainer.
"Patr’ eterno ! murmura sourdement Ornano. (Par le Père Éternel !) Qu’un de ces petits-maîtres fasse un geste, et j’empoigne le Florentin !"
Concini, brusquement, s’apaisa. Des yeux, il contint ses gens. Avec cette soudaineté qui faisait de son masque une merveille de comédie, il prit son air le plus riant.
"Bonsoir, maréchal, dit-il de sa voix chantante et zézayante, bonsoir, mon cher maréchal. Je vous cherchais justement. Vous savez qu’il est question de choisir un gouverneur pour Monsieur[1] ?
— Eh bien ? fit Ornano en fronçant les sourcils.
— Eh bien ! j’ai pensé que nul n’était plus digne d’occuper ce poste de confiance que votre fils Jean-Baptiste. Il est juste que le pacificateur du Dauphiné soit récompensé jusque dans ses enfants. Réfléchissez à cela, mon cher maréchal, et, sous deux jours, dites-moi si vous acceptez ou si vous refusez."
Ornano avait reçu le coup en pleine poitrine. Voir son fils pourvu d’un poste qui en eût fait un des premiers personnages de la cour, cela passait ses espérances. Il demeura donc tout étourdi et, avant qu’il ne fût revenu de sa stupeur, il vit Concini qui, lui faisant de la main un signe gracieux, s’éloignait, suivi, au plutôt environné de son escorte étincelante, bruyante, papillonnante, manteaux agités, éperons sonnants, vision de splendeur et de force. À l’instant où ce groupe rutilant disparaissait, une porte, à l’autre bout de la galerie s’ouvrit ; une voix cria :
"Le roi !"
Louis XIII entra, vêtu de noir, le pas nonchalant et timide, l’œil soupçonneux ; il s’appuyait au bras d’Albert de Luynes ; les gardes abaissèrent les pointes de leurs hallebardes, les quelques courtisans perdus dans la galerie se mirent sur un rang et s’inclinèrent. Le roi passa, muet et pâle, dans ce grand silence. Alors seulement, le maréchal d’Ornano reprit ses esprits. Il se tourna vers Vitry et, avec un sourire pareil à un coup de stylet :
"Je crois que M. d’Ancre vous a dit un mot qui vaut son pesant de vendetta...
- ↑ « Monsieur » – le frère de Louis XIII, Gaston d’Orléans. (Note de l'auteur)