tête basse, les yeux perdus dans le vague. Et ce fut dans cette attitude qu’il parla :
" Les vertus ! oui, c’est bien le mot qui convient ici. Madame, lorsque vous avez administré à un homme un poison foudroyant, si, à ce moment même, la nécessité vous apparaît de le faire vivre une heure encore et que de là dépende la réussite de vos projets, vous êtes perdue. Car déjà l’homme a succombé. Si vous avez administré un poison lent qui ne doit agir... prenons un terme... qu’au bout de deux mois ; si, au bout d’un mois, vous vous apercevez qu’il y a une erreur dans vos calculs et qu’il vous est impossible d’attendre un mois encore la mort de cet homme, vous êtes perdue. En un mot, dès que vous administrez le poison, l’homme ne vous appartient plus : il appartient à la mort.
— C’est vrai, dit Léonora, et c’est là un des inconvénients graves de l’emploi du poison.
— Bien. Maintenant que je vous ai montré ce côté de l’abîme, est-il vrai, madame, que la manière la plus sûre et la moins dangereuse de tuer un homme, c’est de lui offrir une fleur empoisonnée ? Une rose, par exemple. L’homme respire le parfum : il a respiré la mort ; il tombe.
— Oui, dit Léonora avec la sérénité d’un élève discutant avec son maître, et cette sérénité était quelque chose d’effroyable ; oui, mais on a vu l’homme respirer la rose ; on saisit la fleur, on l’analyse, et l’empoisonneuse monte à l’échafaud. Il y a encore un danger plus grave : c’est que l’empoisonneuse ait elle-même respiré la rose. Cela est arrivé maintes fois."
Lorenzo sourit encore. Et cette fois il y eut une lueur infernale dans le pétillement de ses yeux.
"Madame, dit-il avec un accent de triomphe qui fit frissonner Léonora, quelle que fût sa puissance sur elle-même, vous empoisonnerez la rose comme je vais vous l’expliquer. Vous pourrez la respirer. Tout le monde pourra la respirer sans danger. On pourra analyser la rose on n’y trouvera que les sucs naturels de cette fleur. Or, cette rose, madame, cette rose inoffensive pour vous, cette rose que vingt personnes auront respirée devant le sujet à tuer, eh bien ! cette rose, madame, sera mortelle pour lui, POUR LUI SEUL !
— Chimère ! murmura sourdement Léonora en pressant à deux mains son front livide. Rêve impossible !"
Pour la troisième fois, Lorenzo sourit.
"Revenons à notre point de départ, madame ! dit-il froidement. Nous disions que, lorsque le poison a été versé à celui qui doit mourir, il y a danger à ne pas connaître exactement la minute de sa mort. Et même si on connaît cette minute, il y a danger à ne pouvoir la changer. L’inéluctable est accompli. Eh bien ! madame, vous, quand vous aurez empoisonné le roi, Louis XIII empoisonné continuera de vivre,