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est venu ? Et tu lui as remis… ce que voulait Concini ?

— Un flacon, oui, signora. Un petit flacon qui contient une cinquantaine de gouttes, pas plus, du précieux liquide... à moins... Seigneur Jésus ! ajouta le nain en se frappant tout à coup la poitrine, est-ce que je me serais trompé ? Malheur ! oui ! je me suis trompé ! Tenez, signora, voyez... là... sur cette étagère... il y avait deux flacons ! Ah ! malheur sur moi, je crois que j’ai donné celui qu’il ne fallait pas !"

Léonora palpitait. Le nain sauta sur un escabeau, atteignit l’étagère, saisit le flacon qu’il venait de signaler et s’écria :

"Courez, signora, courez ! Je me suis trompé ! Il n’y a plus de doute ! Ah ! maudite distraction ! Ah ! pauvre jeune fille qui...

— Assez de comédie, Lorenzo, interrompit Léonora. Dis-moi simplement l’effet que produira le poison."

Lorenzo, avec d’infinies précautions, déposa sur une table le flacon qu’il tenait à la main et qui était encore plus petit que celui qu’il avait remis à Rinaldo.

"Voici, fit-il froidement. La jeune fille devra absorber tous les soirs trois gouttes pendant huit jours. J’ai d’ailleurs donné les indications nécessaires à Rinaldo. Au bout des huit jours, le poison commencera à produire son effet ; il sera entré dans la circulation du sang, et la jeune fille n’en éprouvera aucun malaise. Seulement, un beau matin, vers le dixième ou le douzième jour, en se regardant à son miroir, elle apercevra sur le front ou les joues un minuscule bouton d’un rose vif auquel elle ne prêtera pas grande attention. Ce sera, signora, la première floraison du poison. Au bout de quelques jours elle verra se produire toute une éruption de petites cloques semblables à la première. Ces cloques se gonfleront, éclateront et deviendront des pustules, sur le front, sur le nez, sur les joues, autour des yeux, partout ! Les cils, les cheveux, les sourcils tomberont ; les gencives seront impuissantes à retenir les dents éblouissantes de cette bouche de corail... et, pourtant, elle ne souffrira pas, ou du moins pas beaucoup. Un peu de fièvre, voilà tout. Puis la fièvre s’en ira. Puis, l’une après l’autre, les pustules sécheront. Et ce sera fini. La jeune fille sera guérie. Elle sera aussi forte, aussi saine qu’avant le poison. Seulement, à la place de chaque pustule, sur son visage, la gorge, les seins, les bras, les mains, il y aura un trou, une cicatrice que rien ne pourra effacer. Et alors, signora,cette jeune fille, avec le trou noir de sa bouche sans dents, avec ses yeux à demi rongés, sa tête sans cheveux, sa peau couturée comme si elle avait été parcourue par une infinité de larves empoisonnées, aura l’aspect d’une vieille, très vieille femme qui va mourir... à moins qu’elle n’ait l’aspect d’un cadavre qui se serait levé de la pourriture de la tombe pour épouvanter les vivants !"