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à l’évêque de Luçon, il ne l’avait jamais vu. Mais il comprenait que ces deux-là seraient aussi impitoyables que les deux premiers. Et à eux quatre, puissants comme ils étaient ou comme il les devinait, ils formaient un formidable bloc de haine, sous lequel il serait tôt ou tard broyé. Quant à ce Laffemas, qu’il avait parfaitement vu se glisser derrière l’arbre pour le frapper dans le dos, quant à Rinaldo et à ses compagnons, il ne les comptait que par surcroît.

"C’est la menue monnaie, conclut-il, c’est le zeste de la haine des quatre terribles. Mais d’où vient cette haine ? Je comprends admirablement celle de Cinq-Mars, qui a sans aucun doute appris l’infidélité de cette Marion que la peste étouffe, pour jolie qu’elle soit ! Passe encore pour mon Concini qui m’en veut, lui, de ce que je ne sois pas mort dans son grenier, comme si un pareil galetas était une tombe convenable pour un Capestang ! Ce sont les deux autres que je ne comprends pas ! L’homme au masque, d’abord. Eh quoi ! est-ce pour ces quelques misérables pistoles ? Non, non. Cet homme-là a un air de grandeur visible, et sûrement l’argent ne compte pas pour lui. Que lui ai-je fait ? Qu’est-il ? Et l’autre, ce gentilhomme aux yeux d’aigle, au sourire livide comme l’éclair d’une hache de bourreau. Que lui ai-je fait à celui-là ? Ils sont puissants, tous quatre ! Le moindre d’entre eux suffira pour me briser. Ah ! pauvre Capestang, te voilà dans un joli mortier, où tu seras haché menu, pilé, mis en marmelade, sans que ce pauvre petit roitelet puisse seulement te tendre la main ! Si je m’en retournais à Capestang ?"

Brusquement, il se redressa sur ses étriers, dans l’attitude héroïque d’un Capitan dont les spectateurs n’auraient nulle envie de rire. Les passants virent avec stupeur ce jeune homme maigre, étincelant, hissé sur le fantastique Fend-l’Air, dressé sur ses étriers, le poing tendu, mais aucun d’eux n’eut envie de sourire.

"Fuir ! M’en aller ! rugit-il en lui-même. Allons donc ! Venez-y, Cinq-Mars, Concini, et vous, l’homme au masque, et vous, Rinaldo. Venez-y tous, tous, et d’autres encore ! Capestang vous attend de pied ferme ! Conspirez, aiguisez vos poignards, allongez vos griffes sur la couronne du petit roitelet ! Prenez garde, messieurs ! Le petit roitelet a tout à l’heure sauvé Capestang, et Capestang vous défie tous ! Capestang sauvera le roi de France !"

Il se mit en route, l’imagination enflammée, roulant des pensées de bataille et de gloire, échafaudant ce rêve de monter seul la garde autour du trône. Et tout à coup il pâlit, il sentit que quelque chose venait de briser les ailes qu’il déployait dans l’azur de son rêve. Pour sauver le trône et le roi, il lui faudrait combattre le duc d’Angoulême ! Et le duc d’Angoulême, c’était le père de celle qu’il aimait !