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— Vous voulez dire la belle chasse ! claironna Luynes dont les narines frémissaient et qui était superbe en cette minute. Il y a chasse, et chasse, mordieu ! Vous allez voir le héron piquer droit dans le ciel, très haut et se perdre au fond de l’azur infini. Qui peut l’atteindre là ? Quelle flèche ? Quelle balle ? Attends un peu, héron, mon ami, je vais t’apprendre qu’un roi, je veux dire un chasseur, peut monter plus haut que toi ! Et voici le faucon parti ! Le faucon, c’est le bec du roi ! Le faucon s’élance. Il pousse son cri perçant, son cri de guerre : « Vive le roi ! » Le héron l’entend, et il se sait perdu, car il se dit : « Voici l’envoyé du roi ! » Le faucon fond sur lui et l’attaque à coups redoublés. « Vive le roi ! » Bientôt les ailes du héron se replient et il tombe, il tournoie, il glisse du haut des airs, le faucon attaché à lui, et, quand il est à terre, il meurt en disant : « C’est bien fait. Ça m’apprendra à voler trop haut ! – Vive le roi ! » répond le faucon. Sire, regardez autour de vous. Il n’y a que faucons prêts à s’élancer. Où sont les hérons ? Dites, sire ?

— Tais-toi ! Tais-toi !" haleta Louis XIII en se couvrant les yeux d’une main, comme s’il eût été ébloui de ce que Luynes lui faisait entrevoir.

Et les paroles du formidable Ornano grondaient dans ses oreilles : "Un mot, sire ! et j’empoigne le Concini pour l’empaler sur la flèche de la Sainte-Chapelle !"

"Il y a chasse, et chasse, continua Luynes avec un rire terrible. Peut-être votre Majesté préfère-t-elle la chasse à courre ? Moi aussi, alors ! Daguet ou vieux dix-cors, ça m'est égal ! Nous détournons l’animal, nous lançons les limiers, et la meute suit ! Oui, oui, tu peux ruser, tourner, détourner, retourner, voici le bien-aller qui sonne ! Ah ! te voici hallali ! Bon ! Attention, sire ! La dague au poing, droit à l’animal, un bon coup dans le poitrail, et c’est fait ! Et si vous ne voulez daguer vous-même, voici vos piqueurs. Où est l’animal sire ? Quand faut-il découpler les limiers ? Dites, sire !"

A ce moment, une corneille passa au-dessus de leurs têtes en jetant son cri aigre. Comme s’il eût été heureux de saisir l’occasion de ne pas répondre, Louis XIII leva la tête et considéra attentivement le vol lourd de l’oiseau qui s’élevait vers les toits du Louvre.

"Tenez, sire !" fit Luynes qui, haussant les épaules, présenta au roi une arquebuse toute chargée.

Le jeune roi visa rapidement. La détonation éclata. La corneille tomba tout droit et vint s'abattre sur un pavé aux pieds de Luynes, qui, vraiment émerveillé, s'écria :

"Sire, l'histoire vous appellera Louis-le-Juste !"

Un sourire d’orgueil illumina le front du jeune roi. Il saisit Luynes par le bras et gronda :

"Tu vois que quand j’aurai décidé d’abattre l’animal, je