Page:Yver Grand mere.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
32
GRAND’MÈRE

— Votre bonté n’est pas une raison pour que j’abuse de vous !

— Bast ! quand il y en a pour sept, il y en a bien pour huit, vous comprenez…

Des galoches dans l’escalier. C’étaient Blanchette et Claude qui rentraient du catéchisme et que Sabine avait conduits jusqu’à la cour avant de se rendre à la mercerie. Ils criaient la faim et réclamaient leur tartine. Marie Cervier ne put réprimer un geste un peu nerveux.

— Ah ! toujours être dérangée quand on travaille !

— Laissez, Madame, dit la vieille femme, pendant que vous travaillez pour moi, je peux bien m’occuper d’eux.

Ce fut elle qui coupa le pain en tranches, y étala, en grattant un peu, la confiture, les regardant avec une douceur qui se changeait en émoi visible quand ses yeux tombaient sur Claude ; elle caressait sa tignasse frisée, mourait d’envie, très visiblement, d’embrasser l’enfant violent, brutal et tendre, qui en entrant tout à l’heure lui avait jeté ses menottes autour du cou. Mais une fois rassasiés, ils supplièrent pour rejoindre dans la cour la bande des gosses de l’immeuble. La cour n’était pas plus grande qu’un torchon, disait Jean Cervier. L’atelier vitré de la serrurerie en délimitait tout un côté ; et comme Ia porte de cet atelier restait ouverte, on voyait rougeoyer le feu de la forge, s’affairer des hommes aussi noirs qu’au Sénégal, jaillir des gerbes d’étincelles, feu d’artifice au milieu duquel, impassible, l’ouvrier à grands coups de marteau flagellait le métal rougi, pendant que d’autres, à la forge électrique, ciselaient des clefs, de petits outils, le croissant qui chausse le pied des chevaux. Le fer était ici dompté, assoupli, réduit à toutes les formes, à tous les mouvements, à tous les usages que le vouloir humain lui imposait. Et les artisans qui le mataient ainsi, et l’amollissaient, et l’assujettissaient à leur fantaisie, c’étaient ces hommes que dans la rue l’on croise, souvent mal débarbouillés, inconscients de leur force, inattentifs à leur habileté, ignorants de la beauté qu’a leur pouvoir dominateur sur la matière.

Jean Cervier, l’un des plus habiles à l’atelier, se