— Ah ! f…-moi la paix, femme ! Et puis tu sais, ça ne sera pas éternel. Quand on aura débrouillé sa situation, la vieille s’en ira.
Pendant ce temps, personne ne voulut qu’elle aidât au déménagement du cagibi. Elle était demeurée devant la table de la cuisine, la tête entre ses mains cordées et noueuses, et c’est là que le sommeil, insidieusement et sans résistance possible, s’était emparé de ce pauvre organisme exténué. Elle dormait puissamment, aussi profond qu’on peut dormir, avec un grand ronflement qui s’enflait à chaque coup comme une tempête et qui faisait peur aux trois plus jeunes enfants, s’accordant trop avec le tragique des circonstances dont elle ne semblait pas encore totalement délivrée.
À dix heures et demie du soir seulement, la chambre fut prête, et Marie non sans quelque peine éveilla la dormeuse. Celle-ci parut effrayée. Ses nerfs étaient à bout. Il lui fallut une bonne minute pour revenir à la douceur de la réalité présente. Aussitôt elle se mit à lisser sous le foulard violet ses mèches folles. Alors la petite Blanchette et le gros Claude la prirent par la main et la conduisirent à sa chambre toute illuminée par une forte ampoule. Ces murs blanchis à la chaux, mais immaculés, cette tiédeur qui venait du fourneau de la cuisine, ce lit si accueillant, ce beau fauteuil devant une petite table, cette apparence enfin d’une étroite mais confortable retraite lui firent pousser un cri :
— Que c’est joli !
Ce fut la rançon du fauteuil pour Marie Cervier, car c’est toujours le sacrifice qui vous a le plus coûté qu’on aime le plus ; et elle ne douta pas que ce ne fût le siège Louis XV qui arrachait à cette malheureuse ce cri d’admiration.
Celle-ci cependant étant entrée, regardait autour d’elle dans une sorte de ravissement. Elle était toute haletante. Grande, droite, la tête encore fière, elle commença :
— Monsieur et Madame…
Puis ses larmes se mirent à couler. Elle les essuya dans un drôle de chiffon qu’elle avait en poche et reprit :