XII
LE PRÉCIPICE
Lorsque le lendemain, à la nuit tombante, Sabine s’apprêta pour aller faire « sa provision d’idées », comme elle le racontait chez elle, il tombait une petite neige fine qui déclarait l’hiver à Paris pour la première fois, et rigoureusement. Avec décembre, on s’enfonçait dans la saison agressive et mordante. Sur le quai, la bise était sévère. Sabine ne le sut même pas. Elle avançait, à pas pressés, dans le tourbillon. Mais la voiture de Christian n’était pas, sous le viaduc, à la place coutumière. Elle eut au cœur une affreuse douleur physique. Voilà quelle était, à sa lettre audacieuse, la réponse de celui dont elle se croyait adorée ! Voilà à quoi aboutissait ce grand amour ! Léger, insouciant, inconscient, le jeune aristocrate se dérobait au moment de régler les comptes !
Mais elle n’avait pas encore apaisé la violence de sa rancune que la petite auto familière à ses yeux débouchait du quai de Grenelle et arrivait à pleins gaz, docile comme un lévrier qu’on a sifflé, pour s’allonger devant elle au ras du trottoir. Sabine respira enfin. Il était revenu ! La « lettre » ne l’avait pas éloigné à jamais. Il ne s’agissait plus, maintenant, que de décider avec cet être enchanteur des modalités de leur vie. Comment ne s’entendraient-ils pas, si proches l’un de l’autre ?…
— Viens, cher trésor ! Viens, ma petite reine ; disait Christian, déjà, en ouvrant la portière, en la saisissant dans ses bras, violemment, pour lui faire place à sa droite.