XI
LA ROUTE FLEURIE
— Grand’Mère, ne trouvez-vous pas que Sabine change beaucoup ? Elle me donne l’impression d’un corps sans âme. Elle s’en va de l’alcôve à la cuisine, les bras ballants, sans s’occuper à rien. Tout lui est insupportable. Tout la dégoûte ici. Je sais bien que ce n’est pas très beau chez nous, mais, cependant, ça fait assez bourgeois et les bois reluisent à force d’être frottés. Peu d’ouvriers sont aussi bien logés que nous. Ne croyez-vous pas qu’elle songe au grand Henri et que le temps lui dure de le voir rentrer du service ?
Marie Cervier se confiait ainsi à la vieille amie qui lui paraissait toute sagesse et toute perspicacité et qui répondit :
— Je ne crois pas Sabine si occupée du grand Henri que d’en languir à ce point. Sabine, ma chère Marie, a trop de vanité pour s’intéresser à ce jeune ouvrier. Vous savez bien qu’elle prétend épouser un prince !
La bonne Marie dans sa simplicité se mit à rire.
— Oui, rien que cela ! Mais, faute de grives, on mange des merles, Grand’Mère ! Et je me demande si, comme à son insu, elle ne s’ennuie pas de l’ami de Louis.
— Sabine est à l’âge où l’on est romanesque et, par là même, mélancolique. Elle s’ennuie sans doute de ce qu’elle espère et qui est l’amour, tout simplement, et, en même temps que de l’amour, de Ia destinée encore ignorée qui l’attend.
Effectivement, on ne reconnaissait plus Sabine. À la maison, étrangère à tout, absente des conversations qui se tenaient à table, semblant ne rien voir de ce qui