Page:Yver - Madame Sous-Chef.djvu/99

Cette page n’a pas encore été corrigée

Saine et robuste, créée comme les femmes de son pays pour de nombreuses maternités, elle supportait son état crânement, sans malaises, fière de prouver qu’elle pouvait cumuler son métier d’homme et son métier de femme. Quand on apprit la grande nouvelle à la mère de Denis, celle-ci n’en croyait pas ses oreilles : « Quelle santé ma chère ! vous êtes faite pour avoir dix enfants ! » — « Dieu garde ! » s’écria Geneviève en riant.

Cependant le restaurant du quartier des Invalides avec ses relents de bière, de friture et de cigare, finit par l’écœurer un peu, il lui fallut bien l’avouer. « Qu’à cela ne tienne, dit la belle-mère, vous viendrez chaque jour déjeuner chez moi, ainsi que faisait Denis naguère. » « Mais ma mère, vous n’avez pas de domestique ; nous ne pouvons vous imposer cette peine. » La mère eut ce coup d’œil de coin qui la rendait encore à cinquante ans si séduisante : « Ma chère Geneviève, vous n’avez donc pas encore compris quel beau remède vous apportez à mon inutilité ! » Les deux femmes se regardèrent avec un peu de mélancolie sur ce mot-là. Et le marché fut conclu entre elles, sans plus.

Ce ne furent plus les chatteries provençales ragaillardies par les épices odorantes qu’on leur servait désormais à ce déjeuner quotidien, mais des viandes ruisselantes de jus, des légumes doux et fades, que Mme Rousselière n’aimait pas, mais qui se trouvaient bonnes pour « l’enfant », seul objectif de ces trois-là. Il n’était entre eux que projets d’avenir, rêves, ambitions tournant autour de ce petit être que personne encore ne connaissait.

Un jour, la belle-mère eut l’audace de pousser le coup droit devant lequel, jusqu’ici, elle avait hésité.