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puérile et si douce, elles n’avaient jamais dépassé l’étroit appartement du boulevard des Invalides qui enclosait dans ses boiseries blanches, avec l’amour de Jean Charleman, tout son univers ! Et Rousselière là-dessus pensa malgré lui que si, plus volontaire, il avait formellement exigé que Geneviève, comme Denise, abandonnât ses fonctions pour se marier, l’annonce de ce bébé aurait inondé de joie leur foyer au lieu d’y faire figure de catastrophe. Il brûlait de communiquer à sa femme ce qu’il pensait là-dessus, peut-être même d’ébranler secrètement par une première sape sa décision de demeurer, comme il disait « bureaucrate à perpétuité ». Mais la crainte de l’émouvoir péniblement par une discussion nouvelle sur ce sujet, qu’ils s’étaient interdit d’aborder désormais, lui retint la langue.

Au fond, avec un certain enfantillage de garçon élevé par une femme, il se mit à vivre désormais dans l’attente de ce petit être, comme à quinze ans il rêvait nuit et jour d’une raquette de tennis promise par sa mère, d’un fusil à air comprimé qui devait récompenser sa prochaine place de premier à l’Institut catholique, d’une matinée au « Français » que la veuve du poète se saignait pour lui offrir de temps à autre. Ses songes même aujourd’hui étaient hantés par cette merveilleuse espérance. Il les contait à sa femme, le matin au réveil : « Tu ne sais pas, mon cher Trésor, j’ai vu cette nuit notre bébé. C’était une petite fille. Elle était merveilleusement jolie et commençait à parler. Elle s’exprimait même à ravir en mettant son petit doigt en l’air… »

Et Geneviève qui comme toute bonne Bretonne savait lire dans les rêves, déclarait :

— Alors, mon chéri, ce sera un garçon et il n’aura aucune facilité de parole !