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jeunes beaux-frères. Bientôt, on passait à la salle à manger. Geneviève retrouvait les rites connus. depuis son enfance à cette table amie dont les contacts lui étaient comme une caresse d’aïeule. On loua le pot-au-feu de la tradition. Puis, après que les légumes aux couleurs éclatantes eurent fait le tour des convives, vint l’entrée solennelle du gigot, l’affutage du couteau à découper par le père méticuleux, la tombée des fines tranches rouges sous la lame, enfin la phrase sacramentelle de Geneviève qui rappela aux garçons une ancienne tradition :

— As-tu fait sauter la gousse d’ail ?

Une douce torpeur engourdissait la jeune femme, apaisait sa combativité, son humeur revendicatrice. On parlait des succès de ses frères, du gros travail de son père à l’étude. Toute sa jeunesse, depuis la petite enfance, reprenait possession d’elle. Une pensée, tout à coup, lui traversa l’esprit : « Connaîtrait-elle un jour, pour son compte, une maison de famille comme celle-là ? Bien encombrante une telle nichée… Mais pourtant, c’était si bon !… »

Rousselière soutenait le fil d’une conversation avec les garçons aussi bavards que voraces. Il leur contait une nuit de pêche au clair de lune, du côté des îles de Lérins. Le père Braspartz prêtait l’oreille.

Après le repas, comme toute cette jeunesse fumait, on vit la tête de Geneviève se renverser en arrière à l’appui du fauteuil. Elle était d’une pâleur mortelle. Rousselière bondit vers elle, la soutint dans ses bras. Et comme les yeux de la jeune femme, pleins d’un feu si doux, d’ordinaire, demeuraient sans expression et semblaient vides, pris d’angoisse, il la souleva vigoureusement pour l’emporter et l’étendre sur le lit de ses parents.