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naires, ses châteaux en Espagne à elle, c’était dans la cité des cartons verts, sous la crépitation des machines à écrire et la senteur fade du papier qu’elle les bâtissait. Quatre rédacteurs avaient sur elle une priorité d’ancienneté. Quand passerait-elle sous-Chef ? Telle était la question. Le titre n’était pas prodigué chez le personnel féminin. Au ministère, on ne voyait que deux femmes qui l’eussent encore. Il n’en était que plus flatteur d’y parvenir. D’autant que Geneviève ne comptait sur aucune bassesse, sur aucune lâcheté ou abandon de dignité pour acheter ce titre si désiré. Rien que la perfection de son travail, la belle distinction administrative du style empesé de rigueur : « Le ministre, ces raisons invoquées, a cru devoir surseoir à l’octroi de toute amélioration dans les avantages qui vous ont été accordés. » Ou : « J’ai l’honneur de vous informer qu’après avoir pris connaissance de votre réclamation, le ministre a ordonné qu’une enquête serait instituée dont les résultats seront portés à votre connaissance… » Savoir repousser les requêtes avec une solennité compensatrice, tout était là. Ou bien encore « y donner suite » comme dit le jargon usité et n’en faire part à l’intéressé que par des formules impassibles et impersonnelles, les seules que puisse employer l’État. C’était à cette incorporation enviable avec l’État, à un anonymat grandiose qu’il fallait parvenir.

La jeune femme songeait au jour où elle viendrait annoncer à cette table de famille qui était toujours un peu son domaine : « Ça y est. Je suis sous-Chef. La troisième femme dans le ministère qui ait obtenu le titre ! » Elle voyait déjà la sarabande que mèneraient ses frères pour célébrer ce succès !

— Au fond, remarquait-elle là-dessus, comme je suis famille !