Page:Yver - Madame Sous-Chef.djvu/91

Cette page n’a pas encore été corrigée

ces fins repas préparés par elle avec tant d’amour. Mais avoue pourtant qu’il est lamentable pour une femme de sa valeur de dépenser la plus grande partie de son temps aux apprêts immédiats ou lointains d’un déjeuner qui ne dure pas trois quarts d’heure. Sais-tu ? Eh bien ! cela me fait proprement l’effet d’un gaspillage, gaspillage d’argent, de temps, de forces. Après tout, nous mangeons très bien le soir, chez mes parents et à moins de frais.

Elle n’avait pas achevé qu’elle sentit la main de Denis se crisper sur son poignet ; et il disait avec un petit frémissement :

— Ah ! tu ne comprends pas, tu n’as rien compris à ces Joyeuses fêtes dominicales que ma mère nous réserve chaque semaine, où il entre beaucoup plus de spiritualité que de gourmandise. Des mets aussi parfaits, ces parfums, ces herbes odorantes, ces goûts agrestes sont comme des couleurs qui nous peignent notre montagne maritime. Ces goûts et ces fumets sont robustes, éclatants. Ils sont nos paysages dorés au soleil comme le pain au four. Ils sont nos grillons, nos cigales, nos priga-diou comme on nomme le féroce insecte qu’est la mante religieuse. Ils sont aussi les festins d’autrefois chez nos grands-parents du côté de Mougins, les souvenirs de grand-mère si petite et si douce et qui cuisinait si parfaitement. Ils sont les réunions de famille de mon enfance, les déjeuners dans Le jardin sous la tonnelle, parmi le bourdonnement des abeilles et le parfum des champs de jasmins à côté. Vois-tu, Geneviève, ma mère met tout cela dans sa cuisine. Ses mains intellectuelles composent un déjeuner comme celle de mon père traçait les quatorze-vers d’un sonnet.

Geneviève affectait de sourire, de ne pas le prendre au sérieux. Elle murmura une fois de plus :