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chez sa belle-mère, et, en retour, entraînait le soir son mari rue du Mont-Cenis pour le dîner agrémenté du charivari de ses frères.

Chacun des époux était également fêté dans sa belle-famille. Mais Geneviève éprouvait un sentiment bizarre le matin, rue de Varenne, où des nourritures rares, des mets raffinés cuisinés avec talent, agrémentés de la gamme des épices les plus diverses et de la fantaisie des mélanges les plus hardis, leur étaient servis. Depuis deux ou trois jours, les chairs sombres du gibier confisaient dans le vin et les herbes aromatiques. Les tomates et les poivrons avec le piment écarlate et les olives macéraient dans une huile qui ressemblait à de l’or en fusion. La pissaladière réunissait tous les légumes. Mais il fallait commencer par la soupe au pistou, c’est-à-dire au basilic qui, au dire de Mme Rousselière, composait le prélude de tout le poème.

On sentait que sa semaine s’était passée à rechercher, à assembler, à faire venir au besoin par colis des Alpes-Maritimes ces denrées odorantes, et à les traiter ensuite toutes en particulier avec autant de délicatesse qu’un poète qui assemble ses rimes et ses images, ou un peintre qui pèse et mesure, du fond de son œil, les rapports insaisissables des couleurs.

Celle qu’on avait surnommée « l’as du troisième Bureau » jugeait, avec sa vue positive et précise, comme un gaspillage cette grande dépense d’imagination, de patience, d’efforts, représentée par un seul de ces déjeuners. Sa belle-mère qui alors, en ce matin dominical, après sa solitude de la semaine, s’épanouissait — son visage ardent et doré rayonnant comme sous un soleil mystérieux lui semblait puérile et vaine. Sa franchise bretonne, incapable pourtant d’une critique blessante,