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acheter avenue de Versailles pour remplacer les croquettes.

— Mais ma pauvre Ninette, ce sont des poissons gâtés qu’on vous a vendus !

— C’est possible, Madame, je ne m’y connais guère. Je n’ai jamais vu pêcher que de loin, au Pont de Neuilly ou à celui de Sèvres. Un merlan qui sort de l’eau, je ne sais pas ce que c’est.

Geneviève se sentait désarmée. Elle avait devant les yeux une fille singulière à qui elle s’attachait de jour en jour pour son bon caractère, son rire fidèle, ses gentillesses de jeune chat surtout l’obligation qu’avait cette enfant de rester sans beaucoup de liberté dans sa cuisine et de travailler, — mais qu’elle ne connaissait pas véritablement. Elle demandait souvent à son mari :

— Crois-tu que Ninette puisse m’aimer, bien que je sois sa patronne ?

— Je crois qu’elle devrait t’adorer, ma femme chérie, répondait le mari, mais je ne crois pas qu’elle le puisse, parce qu’elle est ta servante qui, loin de discerner cette tendresse maternelle que tu ressens pour elle, voit en toi un tyran qui la traite en esclave. Librement elle t’a loué ton service. Vous collaborez à l’ordre de la maison qui repose sur tes directives et sur ses soins. Mais elle vit sur le préjugé de l’animosité nécessaire entre patrons et employés, de sorte que tu aimes Ninette, mais je ne la crois pas assez sensible pour l’avoir deviné, et, en fin de compte, elle ne peut te le rendre.

— Ninette, dit ce soir-là Geneviève en maîtrisant une nervosité bien naturelle, vous avez acheté du poisson pourri. Jetez-le aux ordures et ouvrez une boîte de conserve. Il reste les légumes à la crème.

— Ah ! non, Madame, parce que la crème, je l’ai prise pour essayer de cacher le goût de brûlé chez