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Geneviève avait pâli. On revoyait en elle à ce moment la « grande Braspartz » du bureau, celle qui, à certains jours, d’un seul regard, courbait toutes les dactylos sur leur machine. La douceur de ses yeux s’était éteinte. Ils devenaient de glace.

— Bref, tu m’aurais mieux aimée cuisinière que rédacteur, n’est-ce pas, Denis ?

Et il comprit qu’il l’avait horriblement blessée. Saisi d’inquiétude, il surmonta sur-le-champ son humeur égoïste. C’était la première fois que sa femme dardait sur lui ce regard sans amour. Une pensée se formula en lui : « Je mangerais toute ma vie de la semelle de soulier plutôt que de lui faire la moindre peine ! » Et opérant un soudain rétablissement :

— Geneviève, je t’en prie, ne prends pas au sérieux un propos de mon mauvais caractère. Je sais bien que les femmes adorent le restaurant.

— Et pour cause. Elles y voient l’exemption de toutes les besognes abrutissantes : l’homme, des soins anonymes qui n’ont pas été pris pour lui spécialement, pour sa chère gourmandise. Mais je sens bien en toi une sourde rancune à cause de mon refus d’abandonner ma carrière ; ton regret d’avoir en moi une compagne et non pas une servante comme tu l’avais rêvé. Tu es injuste et, par surcroît, peu clairvoyant, car nous menons une vie d’union assez rare chez les époux. Songe à nos retours du soir par les bords de la Seine, face au soleil couchant, ou bien sous les arbres de la rue Michel-Ange, lorsque nous avons le caprice d’aller à pied…

Il n’en fallut pas plus que ces mots de mélancolie, cette évocation de l’heure incomparable où ils rentraient chez eux serrés l’un contre l’autre, pour mettre le comble à la confusion du coupable. Il ne savait comment calmer cette épouse offensée.