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femme t’attend. Il y a là comme un vieux rite ancestral, éternel. Un moment de la journée exquis après la petite séparation du travail. Je t’ai vu en frémir de joie tout à l’heure quand tu embrassais ta petite Denise avec une sorte de recueillement. Moi… j’aurais bien désiré que ma femme abandonnât sa carrière. Qu’elle ne connût plus cette existence de hâte, d’agitation, de fièvre : la course au Ministère. Le pire est pour nous que notre appartement se trouve au bout de Paris. À midi, nous déjeunerons au restaurant. Je n’aime guère Ça… Enfin, malgré les refus de Geneviève, je me trouve exceptionnellement heureux d’avoir obtenu une telle créature ; qu’elle veuille bien être la compagne de ma vie. Évidemment, nous ne nous quitterons pas beaucoup. Mais je la vois mal continuer cette existence dans l’état où se trouve ta femme, par exemple.

— Ah ! laisse donc ! s’écria Charleman, affectant de la désinvolture. Tu sais bien que tout s’arrange : dans la vie, mon cher !

Le dîner de ces trois personnes fut une réunion parfaite, sereine, délicate. Denise faisait divinement la cuisine. Il y eut un potage de velours. Mais des œufs à une certaine sauce flamande corsée d’une pointe de moutarde et dont la jeune femme s’était rappelé la recette employée jadis à Lille, firent surtout l’admiration de l’invité. Et il se régala de la crème de Chantilly, louant l’hôtesse et confessant sa propre gourmandise. Une paix profonde régnait dans cette salle à manger. Du boulevard montait une chaleur un peu lourde des soirs d’été parisiens où la trompe des klaksons va se mourant à mesure que tombe le crépuscule. Charleman était pour Rousselière un ami sûr, comprenant tout. La femme de cet ami représentait pour le jeune homme l’idéal de l’épouse et il