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bifteck, ses perquisitions au marché pour avoir à meilleur compte les beaux fruits de chaque saison a elle comblait ma gourmandise, ses mains ravissantes noircies après les casseroles, son teint doré qui se cuivrait de rouge aux ardeurs du fourneau, rien de tout cela n’a diminué ma mère. Geneviève. Ah ! si loin de là, au contraire ! La trouvez-vous mesquine ou desséchée, dites ?

Geneviève, les yeux rivés à la petite lucarne rougeoyante du-poêle, ne répondait pas. Ce n’était pas Mme Rousselière qu’elle voyait en pensée, mais sa pauvre maman dévouée tout entière à cette puissante couvée de jeunes qui s’ébattait dans l’appartement de la rue du Mont-Cenis. Ah ! certes non, elle ne pouvait à propos de cette mère maintenir un tel terme. Ni diminuée, ni desséchée. Mais sacrifiée, écrasée, comment le nier ?

Et elle finit par répondre à Rousselière :

— Votre mère est toujours une grande dame, mais la mienne a sombré dans le dévouement absolu. Elle s’y est noyée. Elle n’existe plus ; elle est un pauvre cœur donné ; une personnalité disparue ; un « Moi » qu’on chercherait en vain. Elle oublie formellement de s’acheter un chapeau à Pâques et à la Toussaint comme on fait en Bretagne, mais j’entends sans cesse parler du ressemelage des souliers de mes frères et des complets à renouveler pour les deux derniers qui grandissent trop vite. On dirait qu’elle n’épargne et ne retient d’une main que pour mieux dépenser de l’autre toujours ouverte. C’est affolant.

— Vous avez trois frères ? demanda Rousse-Bière.

— J’en ai quatre.

— C’est bien de la chance, reprit le fils unique.

Geneviève allait se récrier, lorsque lui revint l’image de ce qu’elle appelait « la soirée du tapis