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ou guettant seulement le bruit de l’ascenseur…

Geneviève ne put s’empêcher de sourire.

— Moi pareillement j’ai fait des rêves. Les Bretons en font aussi, et de plus nuageux peut-être que les vôtres, Méridionaux ; mais sept ans de la vie administrative, cela tue les rêves, mon pauvre Rousselière !

— C’est bien ce que je reproche à la vie administrative, interrompit Denis.

— … Et je vois la vérité en face. La vérité, c’est que nous n’aurons pas trop de nos appointements conjugués pour mener une vie aisée, large, agréable, sans ces petits calculs froids, desséchants, qui diminuent tant de pauvres femmes.

— Ah ! ne dites pas cela, Braspartz chérie ! Braspartz rebelle ! J’ai vu ma mère, jeune encore, transplantée d’une jolie villa provençale où elle commandait à un petit valet de chambre et à deux délicieuses vieilles bonnes qui la servaient comme une princesse de conte de fées, vers ce pauvre appartement exigu de la rue de Varenne où je n’ai dû ma formation intellectuelle, ma préparation à la vie qu’au sacrifice de son luxe, de ses loisirs, de sa personne entièrement vouée dès lors aux soins matériels du ménage et de la cuisine. À quatorze ans, j’ai trouvé cela naturel. À seize ans, j’ai commencé d’en pleurer le soir quand je rentrais de l’Institut catholique. Mais à dix-huit, j’en suis venu à me mettre à genoux devant elle, parce que j’avais compris que cette créature souriante, gaie, d’esprit toujours pétillant, avait accompli un miracle spirituel sous le couvert de ce travail matériel et patiemment consenti. Son fils avait grandi à un foyer aussi riche, aussi somptueux en clarté et en chaleur qu’il ne l’eût fait dans la villa provençale des Alpes-Maritimes. Ses calculs sur le prix de la livre de beurre ou de