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don, ne serait plus enfin ce lieu sacré que les Français évoquent lorsqu’ils disent « la maison » ?

Il avait parlé d’abondance, heureux que Geneviève ne l’interrompît pas une seule fois, s’imaginant que sa catilinaire lui closait la bouche et que ses arguments la subjuguaient. Il ne la voyait pas, — dans ce petit salon tiède où palpitait tout le passé des Rousselière, dans cette pénombre où les abat-jour laissaient son visage, atterrée, confondue, incapable de proférer un mot de protestation. Elle restait les lèvres mi-ouvertes, haletante, sans voix. Enfin, il l’entendit murmurer faiblement :

— Rousselière, c’est vous qui me parlez ainsi ! C’est vous qui exigeriez le sacrifice de ma carrière, de ma situation, de mon aisance personnelle, je dirai plus, de ce qui fait ma personnalité, ce quelque chose d’indéfini qui se sent dans le bureau lorsqu’on dit : « Demandez l’avis de Braspartz ? » Savez-vous ce qu’une jeune fille a pu travailler, lutter, vaincre d’embûches et de « bûches » tout court pour en arriver là où je suis ? Huit années d’efforts et qu’un homme ne pourra jamais imaginer, surtout si la jeune fille est fière comme une Bretonne et nette comme une Enfant de Marie… Et aujourd’hui que j’arrive au but, où il se peut qu’avant six mois j’aie ce poste qui me donnera de l’autorité sur tout le service, poste auquel jusqu’ici peu de femmes parviennent, mais qui m’a été formellement promis par le directeur du personnel, je lâcherais toutes les amarres qui me tiennent là, je renierais une carrière qui ne s’arrêtera peut-être pas au grade de sous-chef ? Je renoncerais à la fortune que la conjugaison de nos appointements respectifs apporterait à notre ménage ? Je redeviendrais une femme comme ma pauvre maman, esclave de sa maison, de sa cuisine, de son ménage ? Ah ! non, Rousselière, non,