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déroula dans une cabriole experte. Marc, son aîné, celui qui travaillait son premier bachot, voulut en faire autant et s’y prit de travers, de sorte que les grands, Henri qui travaillait l’art dentaire et Pierre qui préparait Saint-Cyr, vociférèrent, lancèrent des cris sauvages et se précipitèrent pour le rosser. Impassible et la pipe toujours aux dents, le vieux clerc de notaire déclarait à sa fille :

— C’est grâce à une affaire de l’étude : une affaire de succession de mineurs très embrouillée que j’ai réglée ici, le soir, et qui m’a valu un peu d’argent. Il fallait un tapis ici. J’y songeais depuis longtemps. Tu comprends, à cause du bruit des garçons qui incommode les locataires, en dessous… Ces gaillards-là, il faut pourtant les laisser s’amuser…

— C’est un trop beau tapis pour eux, papa !

— Non, déclara le père Braspartz. Ça sera plus doux quand ils se ficheront par terre.

Peut-être parce que les heures précédentes avaient travaillé à l’extrême la sensibilité de Geneviève, elle ne put entendre cette phrase paternelle sans en être remuée. Elle dut rentrer de force des larmes qui lui perlaient aux yeux : « Ça sera plus doux quand ils se ficheront par terre ! » Ce souci de l’oiseau pour sa couvée, du fauve pour sa nichée, cet instinct, cette tendresse de l’homme rude se mariant aux petits soins méticuleux et passionnés de la mère, cette conjugaison des deux amours autour du nid qui lui donnent sa tiédeur lui apparurent tout à coup. C’était cela la douceur de la famille. Elle n’y avait jamais songé. Elle avait au contraire parfois ressenti de l’ennui dans cette famille. Maints dimanches, elle s’était dit : « Heureusement, demain, j’ai le bureau ! » C’est que l’atmosphère vraie de cette petite société essentielle lui échappait. Il