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les calma. Ils mangeaient avidement et en silence. M. Braspartz et Geneviève parlaient de l’Exposition coloniale qui allait avoir lieu cet été. Il n’est pas un Breton qui n’ait comme une fenêtre ouverte du côté des océans, du côté des îles mystérieuses. Eux-mêmes, prisonniers de la mer dans leur presqu’île, sont rappelés sans cesse au souvenir des terres lointaines par les bruits de l’Océan, ses souffles, ses ravages ou les sirènes de ses cargos, de ses transports, de ses cuirassés. Les fiancés de leurs filles sont tous aux « colonies ». Leurs visions à elles sont peuplées de cocotiers, de nègres et d’alligators, réminiscences des cartes postales de leurs bons amis.

Le principal du notaire breton transplanté à Paris, aussi bien que sa fille adorée devenue plus Parisienne que nature, n’entendaient point ce mot de « colonies » sans devenir rêveurs. Les voyages que seule avait faits bien secrètement leur imagination déchaînée, ils allaient pouvoir les réaliser au Pavillon du Sénégal ou à celui de Madagascar, et M. Braspartz, bien informé, répétait tout ce qu’il avait lu dans son journal sous cette rubrique : « L’Exposition coloniale. »

Mais peu à peu, le visage de Geneviève, qui rayonnait d’ordinaire une illumination intérieure, une animation d’enthousiasme, se rembrunit, se fit nuageux. C’est qu’elle avait ressassé un beau projet depuis des semaines. Et c’était justement de visiter avec Denis Rousselière cette Exposition magique, cette terre d’illusion, cette géographie artificielle, cet exotisme improvisé, cette féerie de l’Afrique ou de l’Asie plus troublante encore d’être reconstituée aux barrières du pauvre Paris si quotidien ! Il lui semblait que, dans la poésie de ces paysages de rêve, ils se seraient plus facilement expliqués sur la nature de cette sympathie