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m’apparaîtra pas comme une prison que je haïrai et dont force me sera de m’évader ? Ou bien est-ce que mon amertume ne se retournera pas contre mes tyrans, ceux qui m’auront défaite, vaincue, réduite à leur pouvoir, eux, les deux tout petits, inconscients ; Lui, le grand, dans la plénitude de sa vigueur, qui prétend avoir autant de droits qu’eux mon sacrifice, à tous mes renoncements, à ma présence assidue, à la totale abnégation enfin que la faiblesse enfantine des autres pourrait être fondée à exiger.

— Essaye, disait, elle ne savait d’où, une voix en sa conscience.

— Oui, continuait-elle. Est-ce qu’il n’y a pas en moi des forces inconnues qui se réveilleront et s’en prendront aux auteurs d’un tel dessein, et leur réclameront leurs dettes vis-à-vis de moi, car ils m’auront tout dérobé, ma chair, mon sang, mon cerveau, mon plaisir de vivre, ma liberté, mes activités et, ce à quoi je tenais le plus, ma personnalité ! Est-ce que malgré moi tout cela ne s’insurgera pas un jour pour dresser contre eux des barricades terribles ?…

Sur sa table de verre un chuchotement nasillard, à peine perceptible retentit. Un petit personnage parlant avait dit quelque chose. C’était le téléphone. La main qui portait l’alliance de Denis s’empara de l’écoutoir…

— Madame Rousselière, murmurait aimablement le chef, avez-vous pu prendre connaissance des dossiers que j’ai fait déposer sur votre bureau en votre absence ?

Elle fut d’abord décontenancée, mais opéra vite le rétablissement : sa main droite dessanglant les paperasses pendant que la gauche soutenait l’écoutoir, elle amusa un instant le patron par une histoire de son petit garçon qui l’aurait