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aujourd’hui — passa à la cuisine pour se laver les mains à la fontaine en vieille faïence appendue à la porte, et les deux convives se mirent à table pour croquer les oignons confits et les olives.

— Rien de nouveau ce matin au ministère ?

Alors que les confidences du jeune Charleman lui sonnaient encore dans la tête et que, tout le long du trajet, il avait ressassé l’histoire de cette petite fille si touchante devant laquelle Jean Charleman faisait figure de Prince Charmant dans son nom, s’était-il même dit en traversant la rue de Grenelle, il y a « charmant », — on aurait pu attendre de Denis qu’il débitât sur-le-champ, pour le plaisir de cette mère chérie, tout le roman du garçon, roman si sympathique et si gracieux, trouvait-il lui-même. Mais les cerveaux humains ont leurs itinéraires par où chemine la pensée et ces itinéraires sont parfois bien secrets. Et les cœurs humains également possèdent des labyrinthes où un sentiment s’égare, se perd en terre comme une source, est remplacé par un autre sentiment tout différent, semble-t-il, qui n’est cependant que la suite du premier. Et Denis, au lieu de dire tout simplement à sa mère : « Mon ami Charleman est amoureux d’une jeune dactylo de mon bureau ; il vient de m’en faire la confidence ; il s’y prenait très mal, mais je l’ai orienté », se rembrunit et déclara : « Je ne suis pas très content de moi. Je me suis conduit comme un goujat envers une camarade du bureau voisin, en discutant avec elle le cas d’un malheureux type de province que l’Administration a débouté d’une demande d’indemnisation, comme nous disons. J’ai été un vrai butor. Geneviève Braspartz, elle, s’appelle. Une Bretonne. »

La mère interrompit avec son ineffable regard où s’allumait souvent un petit feu d’ironie :