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Ayant là-dessus atteint la rue, les deux amis divergèrent, Charleman regagnant le boulevard des Invalides, Rousselière le logis de la rue de Varennes où seul avec sa mère, il était venu, voici plus de quinze ans, après la mort de son père le félibre, pour faire de solides études à l’Institut catholique. C’était un minuscule appartement de quatre pièces où la mère devait dormir dans une alcôve du salon pour que « l’enfant » eût une chambre bien à lui et propice au travail. De beaux meubles provençaux arrachés au naufrage de la fortune disparue avec le père, chartiste très en écrasaient un peu ce logis d’étudiant : encoignures de vieux chêne, lits de repos en forme de nacelles, berceaux d’enfant devenus jardinières. On pouvait à peine s’y mouvoir. Mais dans cet intérieur plein d’un mystère intense, une flamme brillait, et c’était l’âme de Clara Rousselière, veuve du félibre, mère de Denis. Ce matin-là, elle épluchait de petits oignons à la cuisine, quand le coup de sonnette de son fils la fit tressaillir. Elle prit soin d’essuyer longuement ses doigts effilés dans un gros torchon et lissa ensuite sur son front ses larges bandeaux noirs, au noir profond comme de la soie de Chine sous lesquels ses yeux si émouvants, si meurtris mais si ardents mettaient de la braise ; enfin, d’un mouvement tout jeune encore bien qu’elle eût plus de cinquante ans, elle se précipita sur la porte :

— Cher trésor de mon cœur !

Denis se pencha, embrassa le front maternel en plusieurs places, comme il faisait d’ordinaire. Comme d’ordinaire aussi, les yeux de la mère scrutèrent l’inconnu de celui qui revenait après quatre heures d’absence, et ils semblèrent y avoir reconnu quelque chose de nouveau. Puis, comme dans le Midi, le chef de famille qui était Denis