Page:Yver - Madame Sous-Chef.djvu/212

Cette page n’a pas encore été corrigée

me manquait. J’en ai pâti pour moi. J’en ai pâti pour les enfants. Ce n’est pas de cette manière que j’aurais voulu les voir commencer leur petite vie. Pierre a déjà connu de grands chagrins. On désire le bonheur total pour ses enfants plus que pour soi-même. Ah ! pardonne-moi, Geneviève ! C’est une faiblesse de ma part de retomber dans ce sujet, puisque les choses se sont passées comme j’avais admis qu’elles fussent. Mais justement, ces choses que je ne puis ni te reprocher à toi, ni confier à ma mère qui doit à tout prix me croire heureux, ni cependant garder au fond, de moi-même parce qu’elles m’ulcèrent à la fin j’éprouve un peu de douceur à les cacher — au gré de ma mélancolie, comme un pauvre trésor lamentable mais cher — dans un cœur ami. Ne va pas chercher autre chose, Geneviève, dans ce qui m’attache à Denise. Je ne t’ai pas trahie, ma chérie. Je n’ai pas d’amour pour elle. C’est une petite fille pleine de raison. Je l’ai nommée Notre-Dame du Bon Conseil. Elle est beaucoup plus qu’un enfant et beaucoup moins, — si ce n’est bien davantage, — qu’une femme. Sa science de la vie est inconcevable. Elle me dicte toujours la conduite la meilleure à tenir. Il s’en est fallu d’un ordre d’elle pour qu’au printemps dernier je ne me fasse nommer en Algérie.

Le visage de Geneviève s’était lentement décomposé. Il portait toutes les traces de son angoisse qui s’accusaient à mesure de cette cruelle confession. Jusqu’ici elle n’avait pas interrompu Denis une seule fois ; mais, enfin, elle ne put se contenir :

— Tu as songé à me quitter ? Tu es allé jusque-là, toi, Denis ?

— Oui, j’y ai songé.