crue le miroir de tes pensées, la sœur même de ton esprit, un esprit accordé au tien et qui est allé plus profond dans ton âme que n’importe lequel ? Est-ce que je n’étais pas là, moi, ton associée la plus intime, moi la responsable de ton bonheur, moi « ta moitié de ménage », comme on dit chez nous ; moi ta femme, Denis, ta femme !
Rousselière ne méconnut pas la plainte sourdement pathétique, l’accent passionné qui frémissait, mal contenu sous ces mots. L’amour de Geneviève, qui lui avait refusé jusque-là tout sacrifice, toute satisfaction de ses volontés, toute adaptation à ses vues, se manifestait ce soir, à contretemps, mais bien émouvant chez une si fière créature. Ses paupières battirent un peu. Il n’avait probablement jamais reçu de cet amour une expression aussi directe, aussi intense. C’étaient de tels mots qu’il avait tant de fois désiré entendre. Ils venaient, hélas ! aujourd’hui à retardement et résonnaient dans un cœur qui n’avait plus d’échos à leur prêter.
— Mais non, ma petite Geneviève, répondit-il assez cruellement. Tu n’étais jamais là, justement ! Et si ta forme extérieure se trouvait présente, d’aventure, c’était pour le dîner rapide du soir où je te retrouvais enfiévrée encore de tes combats administratifs du jour, soulevée par des questions litigieuses qui occupaient trop ton esprit pour que mes modestes peines de cœur de pauvre homme tourmenté pussent l’atteindre. Je savais d’avance que cela arriverait. J’ai tort de me plaindre puisque j’avais consenti, afin de t’obtenir, qu’il en fût ainsi dans notre vie conjugale. C’était accepté. J’aurais dû me contenter du peu de toi-même que tu me donnais, m’estimer heureux d’une fraction de ta vie. Mais plus nous vivions ensemble, plus je mesurais ce qui, de toi-même,