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rasés de si près et qui conservaient les rondeurs de la jeunesse, se crispaient nerveusement. Cela ne dura pas très longtemps. Ce n’étaient que les réflexes du souvenir. Il ne s’agissait pas d’un cœur né pour haïr. Peut-être aussi la douleur et l’angoisse qui passèrent sur les traits de Geneviève lui inspirèrent-elles un peu de pitié car, comme s’il regrettait déjà d’être allé trop loin, il eut un gros soupir d’enfant chagriné et dit :

— Ne te tourmente pas, ma pauvre femme. Je me suis fait à cette vie. Mes mouvements de révolte sont passés. J’essaye de comprendre les satisfactions que peuvent te procurer tes dossiers administratifs ; — sans y parvenir, je me réjouis de ces satisfactions.

Il y eut un silence pendant lequel, avec peu d’appétit, ils achevaient les pigeons du matin. Pour échapper au froid de ce silence, Geneviève dit n’importe quoi :

— Ta mère allait bien lors de votre déjeuner ?

Denis redressa la tête brusquement :

— Je n’ai pas déjeuné chez ma mère ce matin. Je suis allé chez les Charleman.

Pourquoi ces mots si naturels, ces mots fréquents sur les lèvres de Denis : « Je suis allé chez les Charleman » avaient-ils laissé au fond de l’âme de Geneviève l’impression d’un léger glaçon qui s’obstine à ne pas fondre ?

Elle n’aurait su le dire. Six jours ne s’étaient pas écoulés depuis qu’il en avait déclaré autant. Parfois il avait été jusqu’à y déjeuner deux fois dans la même semaine. La phrase : « Les Charleman sont charmants » était comme un slogan adopté chez les Rousselière, un peu en manière