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— Une que tu connais bien. Elle est de ton bureau, Mlle Denise.

— Tiens, Denise ? Mlle Denise, celle qui pleurait tout le jour au début, parce qu’elle n’arrivait jamais à la vitesse normale ? Mais une gosse, un bébé ?

— Ah ! bien autre chose, mon cher ! Une femme-enfant, peut-être, pas encore totalement épanouie. Mais quand on a découvert ce qu’il y a déjà de caractère, de fierté, de hauteur d’âme dans cette fille de dix-neuf ans, entrée ici par protection comme expéditionnaire parce que son père, un riche industriel du Nord, venait d’être ruiné et mis à plat, cette gosse élevée dans du coton, avec institutrice, abonnement aux tennis, hivers à Cannes, à Saint-Moritz, saison à La Baule, oui cette petite quand on la retrouve gagnant huit cents francs par mois pour transcrire notre affreuse littérature, ça fait un sacré effet, je te garantis. On est un peu médusé. Tu vois, d’ailleurs, elle ne descend pas. Elle était déjà partie. Elle m’évite. Je lui fais peur.

— En effet, dit Rousselière, je me souviens maintenant de l’avoir vue devancer l’heure, il y a un instant, pour plaquer sur ses cheveux fous son petit feutre à vingt-cinq francs et filer au premier coup de midi… Mais, dis, vieux, tu vas l’épouser, j’espère ?

— Il ne peut être question que de cela. Encore faudrait-il qu’elle le voulût bien. Elle n’a pas l’air de me priser très fort. Tu en es témoin. Elle se dérobe. Elle me « sème » tant qu’elle peut. Ne suis-je pas un bien petit monsieur pour une fille élevée sur ce mode d’existence ?

— Toi, Charleman ? Mais tu es un très beau parti, mon cher. Voyons, fils d’un notaire de province bien renté ; des frères dans l’armée, au Barreau quelque part en Dauphiné… Je ne me trompe pas, hein ? Non ? Tu es au surplus en passe