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américain étudié pour le plus grand délassement des membres, fauteuils modernes et légers réservés aux visiteurs, tableaux surréalistes aux murs, achetés à de jeunes peintres aux récentes Expositions par l’Administration des Beaux-Arts — ce suprême contentement du succès qui allait parfois jusqu’à l’enivrement chez la jeune femme, se blasèrent peu à peu avec la satiété de son modeste mais réel pouvoir. Elle pensait davantage à ce petit enfant qui allait naître. Une fille, s’imaginait-elle. Elle ne niait plus le mouvement instinctif qui semblait déjà tendre ses bras pour la posséder seule, la nourrir, la baigner, l’habiller, éveiller ses premiers sourires. L’idée d’abandonner tant de fraîcheur, de délicatesse, de faiblesse à Poulut, comme il avait bien fallu le faire pour Pierre, allait à l’encontre de son puissant instinct. Mais il fallait être raisonnable…

Bien souvent aussi, quand seule à son bureau elle enfonçait son soulier dans la laine épaisse d’un tapis marocain étendu là pour son usage personnel lors de sa nomination, elle se remémorait, avec ces teintes ivoirines, celui dont M. Braspartz avait doté naguère la chambre des garçons rue du Mont-Cenis. Elle se revoyait, comme si ce souvenir vieux de trois ans datait d’hier, ouvrant la porte du salon et frappée par la surprise de ce tapis de luxe, don du vieux papa. Elle l’entendait encore répondre à son reproche d’avoir sacrifié à ces garnements une pièce aussi riche :

— Ma fille, ça sera plus doux quand ils se ficheront par terre…

La bonne soirée qui avait suivi !

Comme sa maison à elle ressemblait peu à ce foyer-là si bruissant de gaieté ; si plein de chaleur affective, si clair de tendresses conjuguées ! Le tapage des garçons, l’effort du vieux père qui ren-