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mère à qui l’on apprit la grande nouvelle et qui se crut obligée à faire de charmants compliments à « Madame Sous-Chef », sans qu’on sût au juste ce qu’elle pensait de l’événement, Geneviève connut un étrange malaise. C’était comme si, métamorphosé en une seconde, son mari lui était apparu sous des traits inconnus. Un étranger. Denis n’était plus l’être familier que chaque minute de leur vie tirait d’un passé d’où leur intimité absolue, leur connaissance mutuelle étaient issues. Ses traits demeuraient les mêmes. Mais derrière ces traits était une âme étrangère que Geneviève ne se souvenait pas d’avoir jamais frôlée. Sensation abominable comme le froid d’un amour mort.

Tout le jour, malgré le travail qu’il lui restait à liquider avant de quitter le troisième bureau, elle fit des suppositions diverses. « L’orgueil masculin est bien agrippé aux êtres qui s’en croient le plus libérés, se disait-elle. Denis doit souffrir dans cet orgueil. Il n’est pas jusqu’aux précautions administratives prises par les chefs pour ménager ses susceptibilités qui n’aient accusé cette sorte de disgrâce maritale. On marque le coup. Aux yeux du personnel expéditionnaire, de la dernière des demoiselles dactylos, il reste avéré qu’on opère cette mutation pour lui éviter une sorte de subordination à sa femme. Cela revient à proclamer cette virtuelle subordination. »

Et Geneviève, avec cette candeur des intellectuelles invétérées qui font porter en faisceau sur leur profession toutes les lumières dont elles disposent, laissant dans la pénombre le domaine bien plus vaste des sentiments et des intuitions où triomphent leurs sœurs plus modestes, attendait le tête-à-tête du soir avec son mari pour dissiper le malentendu.