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Il est clair que, sans ma situation, nous n’aurions pas pu nous permettre cette petite folie d’emmener une personne de plus. Voyons, chéri, avoue-le donc enfin ! Ce n’est pas en vain que dans un ménage la femme travaille…

Le regard des beaux yeux humides était fixé sur lui avec une tendresse irrésistible. Le cœur de Denis bondissait dans sa poitrine. Est-ce que sa femme n’avait pas raison ? N’était-ce pas en lui un reliquat de préjugés anciens qui condamnait cette carrière, grâce à quoi tous les deux pouvaient vivre dans l’aisance, alors que leur vie s’arrangeait en somme très bien ?

— Tu es la Sagesse même ! lui dit-il, sans un geste, sans une caresse, lui rendant seulement du fond de son âme le regard si profond qu’elle lui donnait. Je t’admire, Geneviève. Je t’admire dans tout ce que tu fais !

Un train de nuit les emporta tous les quatre dans un honnête compartiment de troisième classe d’où la présence d’un petit enfant avait écarté les possibles compagnons de route. Sous la veilleuse, leurs visages éclairés d’une teinte lunaire, laissaient encore transparaître dans le sommeil, une joie intérieure. Entre les deux femmes, le bébé robuste, aux jambes potelées, aux bras ronds, affectait une sorte d’insolence heureuse. Il avait quinze mois, maintenant, marchait seul avec une certaine assurance, et lorsque un cahot du train le réveillait, dans la traversée du Beaujolais, appelait d’une voix impérieuse sa nourrice : « Poulut ! », sur laquelle il se sentait de l’autorité. La mère de Denis ouvrait alors les yeux la première, mais par discrétion, par sagacité, par prudence, peut-être par politique, attendait que Geneviève lui répondît. Il pleurait alors dans un accès de colère, dressé sur son séant, déclarant :