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longues en tête à tête avec ce petit oiseau ? Pour moi, au contraire, en même temps qu’une épouse bien tendre, ma femme est mon ami, mon camarade intime, avec qui je puis pousser toutes les conversations, toutes les discussions bien plus loin qu’avec n’importe quel homme de ma connaissance. Ai-je le droit de méconnaître le don d’une créature pareille ? Quel triste individu suis-je donc pour demeurer dans un malaise, une insatisfaction mystérieuse auprès d’une telle compagne ?

Et il se mit à chasser le distique importun qui lui sonnait si étrangement dans la tête, en regardant la femme de son ami. « Oh ! Denise aux cheveux de lin. » Non, non ! Pas de ces imaginations dangereuses. Pas de ces sentiments larvés, inavouables, qui se glissent invisiblement dans les ténèbres de notre cœur, y font leur nid en silence : invasion secrète et redoutable…

Au retour, il s’accrocha au bras de Geneviève comme un rescapé de quelque péril. Elle lui semblait si forte, si invulnérable, si à l’abri de toute tentation — si droite, en même temps et si claire, qu’il aurait voulu lui confesser son trouble, cet attrait subtil pour Denise, attrait périlleux sous Son air d’innocence. Mais c’eût été se décharger lâchement d’un fardeau pour en accabler, en empoisonner à jamais cette femme chérie. Non, non ! Il se déchargerait seul, sans que la sérénité de « sa grande Braspartz », comme il l’appelait encore quelquefois, fût atteinte. Et Geneviève, toujours calme et tranquille dans sa belle conscience, traînait à son bras ce mari encore amoureux, sans se douter que celui-ci, dans le secret de son âme, subtilement, l’espace de quelques secondes, venait en sa présence même, de la trahir un peu.