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Quand madame rentrait, elle venait à la cuisine, bavardait un long moment avec elle, demandait :

— On ne s’est pas trop attristée de sa solitude aujourd’hui, Ninette ?

— Mais non, répondait Ninette, qui n’aurait pas su exprimer ce qu’elle avait enduré de mélancolie depuis le matin. Ç’a été. J’ai joué avec Pierre. Oh ! il était trop mignon dans son bain !

— Ninette, reprenait Madame, cet enfant vous devra beaucoup. Je sais que vous l’aimez bien, que vous le soignez admirablement. Je vous en ai beaucoup de reconnaissance.

Et Ninette, éclatant d’orgueil, se promettait de rapporter de tels propos à sa mère lorsqu’elle retournerait à Puteaux, à son prochain jour de repos.

Mais, à d’autres moments, une vague mauvaise se levait du fond obscur de son être et la portait, la soulevait toute contre ses patrons qui abusaient, qui l’enfermaient avec un gosse infernal pendant qu’ils restaient tranquillement sur leur chaise, dans un bureau lointain « où l’on ne devait rien fiche du matin au soir ». Et elle prenait alors contre eux une revanche toute virtuelle en se disant : « Je me vengerai. Je les lâcherai un jour. Je m’en irai et ils seront bien empêtrés avec leur mioche ! »

Dans ces cas-là, il suffisait de la promenade quotidienne du bébé au Bois pour l’apaiser. Surtout dans les mois mystérieux de mars, avril, où les sentiers, les diverticules s’écartant des allées cavalières et des vastes chaussées donnaient maints petits signes à demi-visibles d’un éveil de la nature. Tant de menues pointes vertes jaillissant de partout sous la mousse ! Les batailles d’oiseaux pour les nids ! Et la gaze transparente des taillis lointains qui épaississait et se tramait des lignes verdâtres des bourgeons !

Ninette avait dix-huit ans…