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Combien de fois allait-elle voir l’heure au réveil, près du grand lit de monsieur et madame, supputant les moments qui devaient encore s’écouler avant que sa patronne rentrât. Car dès que madame était à la maison, tout changeait. « Il n’y a pas à dire, déclarait Ninette aux fournisseurs, madame est gentille. Jamais un mot plus haut que l’autre, et si j’ai fait une bourde elle me dit, oh ! mais, très poliment : « Comme vous êtes étourdie, Ninette » un point, c’est tout ! Et quand il y a un gâteau pour monsieur, un gâteau pour madame, il y en a deux pour Ninette. Près de la patronne, je ne m’ennuie jamais. Seulement d’être seule comme ça tout le jour, c’est trop monotone ! »

Sa mélancolie atteignait même parfois au désespoir. Elle regrettait Puteaux, la grande chambre où la cendre vous craquait sous les pieds autour du poêle ; où les vitres blessées portaient des pansements de papier collant ; où s’alignaient cinq larges lits fichus à coups de poing chaque matin sous leur contrepointe rouge ; où sur la table ronde fumait à midi une vaste soupière dans quoi semblait bouillir encore un pot-au-feu si odorant ; ou sur le poêle mijotaient le plus souvent d’énormes bœuf-mode, parfumés aux aromes puissants du thym, du laurier et de la girofle. Quand la mère taillait là dedans, chacun en avait plein son assiette, et il en restait encore pour le casse-croûte du père, le lendemain.

Et Ninette en faisant griller les petits biftecks de faux-filet qu’avait commandés madame, assaisonnés de légumes « distingués » comme des champignons, des laitues braisées, des pommes de terre nouvelles, était prise d’une nostalgie de sa vie d’autrefois.

— Ah ! si ce n’était madame !