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mesure. Décidément, elle tient ses promesses ! » Enfin elle espérait secrètement que malgré son peu d’ancienneté au tableau, malgré le coefficient d’infériorité que pouvait lui créer son état aux yeux de ses chefs, elle forcerait les préjugés, les usages, les rivalités mêmes de certains de ces Messieurs et ainsi peut-être l’an prochain aurait-elle accès aux emplois supérieurs.

Certain soir de cet hiver-là, comme Charleman les accompagnait jusqu’au métro, il ne put retenir sa langue. C’était peut-être une indiscrétion, mais tant pis, la chose le démangeait trop, et puis il savait faire tant de plaisir à Mme Rousselière ! Car c’était d’elle qu’il s’agissait. Donc, l’après-midi, au cabinet de la Deuxième Direction, dans l’antichambre, au vol, sans le vouloir, il avait surpris les mots que le directeur disait sur elle, en confidence au chef de la jeune femme, en lui serrant les mains sur le pas de la porte. Mme Rousselière n’avait pas été nommée, mais les propos tenus ne pouvaient faire confusion : « Vous avez une personne de haute valeur, avait dit le directeur. » — « Oui, avait répondu le chef, dommage qu’elle attende un enfant. » — « Pensez-vous qu’elle abandonne ? » — « Nulle intention, je crois. Mais il y a le congé qui va nous en priver trois mois. Et puis après, à chaque dent du gosse, à chaque colique (oui il a dit cela le chef !) : absence motivée de la mère. » — « Vous êtes immoral, mon cher ami ; pour un petit citoyen de plus, on peut supporter quelque désarroi dans le service. » — « Vous avez raison, monsieur le Directeur ; mais ces femmes-là, quand elles ont l’étoffe dont était faite cette jeune fille, elles ne devraient passe marier ! » — « Vous êtes amusant, mon cher chef !… » Et au dire de Charleman, sur ces mots, le directeur avait congédié le patron de Mme Rousselière.