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ridicule, Marcelle, ajoutait-il avec un vrai chagrin ; je vous assure, il y a là pour moi une impossibilité. Il me semble que montrer mon travail serait tarir mes idées, me condamner à l’impuissance, et quand même je me résignerais d’avance à un tel résultat, je ne pourrais pas encore laisser voir l’élaboration de mon œuvre ; quelque chose en ma conscience se révolte à cette pensée comme à celle d’une mauvaise action. Ne vous moquez pas, ma petite Marcelle, il me semble que j’y perdrais de ma respectabilité, de mon orgueil d’homme, de ma dignité d’artiste. Et puis, c’est encore plus subtil que je ne puis le dire. Entre mon œuvre et moi il y a comme une intimité, un tête-à-tête inviolable. Elle est en moi, mystérieusement ; personne ne la soupçonne ; je la mets au monde lentement, laborieusement, et un regard, même ami, viendrait s’interposer entre elle et moi ? Bien plus, on la verrait informe, débile, inachevée, on la jugerait avec mépris, on la méconnaîtrait ? C’en serait assez pour qu’un mauvais sort pesât sur elle, et je crois que je cesserais de l’aimer. Non, Marcelle, je ne peux vous montrer mon atelier, c’est impossible.

Elle ne répondit rien de tout un moment. Sa gaieté avait disparu ; elle avait repris son air glacial ; mais nul chagrin ne se lisait sur sa figure. Elle parla d’autre chose. Ce fut à la maison que sa peine éclata. Ce refus de Nicolas l’avait